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Critique de HordeDuContrevent


Des fleurs, des milliers de fleurs à la place d'étoiles, pour ce livre de l'américain Daniel Keyes. En brassées, en bouquets, en baquets, librement jetées au vent. Des fleurs de toutes les couleurs, blanches pour la pureté et l'épure du récit, rouges pour son incandescence, bleues pour sa profondeur, vertes pour l'espoir juste entrevu, très sombres pour la noirceur de l'âme humaine, des pétales mauves pour sa dimension spirituelle, des coeurs roses pour sa beauté. Des fleurs arc-en-ciel enfin pour la tolérance à la différence dont il se fait le chantre. Tant a déjà été écrit sur ce livre merveilleux, je me contenterais de m'étonner : pourquoi ai-je attendu si tardivement pour le lire ? Désormais avec moi sur mon île déserte, ce livre me permet de la colorer d'un large nuancier de sentiments et, surtout, à toujours veiller à saupoudrer douceur, compassion et amour aux personnes vulnérables que je rencontrerai, hélas seulement en rêve, esseulée sur mon île.

L'histoire est assez simple. Charlie, jeune homme de 32 ans, est un attardé doté d'un QI d'un petit garçon de 6 ans. Volontaire et très doux, il a été choisi pour subir une opération chirurgicale dans le but de le rendre plus intelligent. Cette opération inédite n'a jamais été faite sur un homme, seulement sur une souris au doux nom d'Algernon. Si cette opération réussit, elle permettra à l'avenir d'augmenter artificiellement l'intelligence de milliers de personnes comme Charlie, voire de rendre le monde très intelligent. Quelques jours avant l'opération il a été demandé à Charlie d'écrire, sous forme de comptes rendus journaliers, ce qu'il vit, ce qu'il ressent…Si ces comptes rendus sont d'abord infantiles et naïfs tant dans leur syntaxe, dans leur orthographe que dans la structuration de la pensée livrée, nous assistons peu à peu après l'opération, à travers précisément l'évolution de ces comptes rendus que nous sommes amenés à lire, à la transformation de Charlie dont l'intelligence ne cesse de progresser jusqu'à devenir incroyablement élevée.

« Si l'opération réussi bien je montrerai a cète souris d'Algernon que je peux être ossi un télijen quelle et même plus. Et je pourrai mieux lire et ne pas faire de fotes en écrivan et apprendre des tas de choses et être comme les otres ».

Au-delà de l'histoire dont le résumé tient finalement en quelques lignes, ce qui est étonnant et haletant est cette façon d'aborder les faits du point de vue de Charlie. Les comptes rendus laissent deviner en filigrane l'évolution incroyable, en peu de temps, du jeune homme. Tour à tour, nous sourions, nous avons le coeur serré, nous assistons, impuissant, à ce qui arrive : gagner en intelligence est finalement perdre en innocence et donc en bonheur… « Qui peut dire que mes lumières valent mieux que ta nuit ? » questionne le nouveau Charlie à l'ancien Charlie.

Cette construction brillante, remplie, l'air de rien, de questions existentielles, génère en effet une profonde empathie chez le lecteur. Comme si nous plongions dans son journal intime, nous éprouvons véritablement la détermination de Charlie, sa volonté de faire plaisir, ses incompréhensions et son impatience de « devenir un télijen », ses colères, l'éveil du sentiment amoureux et du désir. Nous observons, admiratifs, sa soif de connaissances et l'acquisition rapide de ces connaissances, de plus en plus approfondies, sa façon de raisonner qui devient de plus en plus complexe et structurée. Nous assistons, médusés, à la compréhension subtile de son passé et notamment du comportement maternel qui est source aujourd'hui de graves traumatismes, à l'éveil de son esprit de rébellion et de contradiction, voire à son intolérance pour toutes ces personnes qu'il prenait auparavant pour des génies et qui ne connaissent finalement que si peu de choses. Nous évoluons avec lui au fur et à mesure des comptes rendus. C'est brillant, c'est poignant, époustouflant tout en étant simple. du génie !

Le thème principal abordé par ce livre est bien celui de l'intelligence de l'homme. « Plus tu deviendras intelligent, plus tu auras de problèmes, Charlie ». On se demande, stupéfaits, s'il n'était pas plus heureux avant, avec ses amis (ses soi-disant amis) et son travail. En devenant plus intelligent de nouvelles émotions l'assaillent, il comprend combien sa mère a été cruelle avec lui, il éprouve de la honte envers l'ancien Charlie, toujours tapi sous le vernis d'éducation et de culture acquis, que l'on a toujours moqué sans même qu'il s'en doute, il se rend compte que la malice, le vol, les coups bas existent même envers des personnes bienveillantes. Il est conscient d'être un objet utilisé à des fins scientifiques et carriéristes. Il était peut-être bête avant mais heureux…d'ailleurs ne parle-t-on pas des « imbéciles heureux » ?

Autre thème, celui de la différence. Ce livre nous interroge d'une poignante façon sur le regard que nous pouvons porter sur des gens différents et vulnérables. Quelle position prenons-nous ? On ne peut s'empêcher de penser à nos propre réactions, notamment lorsque nous étions enfants, à nous qui avons peut-être harcelé, moqué ou au contraire défendu un enfant plus faible que nous…Par ailleurs, que ce soit en étant arriéré ou en étant devenu un génie, Charlie est différent et a du mal à trouver sa place dans la société. « Exceptionnel s'entend aussi bien pour un extrême que pour l'autre, si bien que j'ai été exceptionnel toute ma vie ».
Ce livre est l'incroyable quête existentielle de tout un chacun de sa juste place dans la société humaine, de l'acceptation de soi pour la trouver quelle que soit sa différence, tout le monde étant unique et donc différent à sa façon. Quant à l'intelligence, elle est relative et nous savons aujourd'hui combien cette notion revêt de multiples formes.

« Quelle est ma place ? Qui et que suis-je, maintenant ? Suis-je le produit de toute ma vie ou seulement des derniers mois ? ».

Et finalement, le message principal de ce livre, d'une humanité bouleversante, bouleversante aux larmes, est que l'intelligence est rien s'il n'y a pas l'amour, la bienveillance, la douceur, la compassion.

« L'intelligence et l'instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent pas cher (…) Trop souvent la recherche du savoir chasse la recherche de l'amour. L'intelligence sans la capacité de donner et de recevoir une affection mène à l'écroulement mental et moral, à la psychose.”

Pour conclure, cette image qui résume de manière la plus imagée et poétique ce livre à mon sens, l'histoire d'un ressac fulgurant : « Tout autour de moi est en attente. Je rêve que je suis seul au sommet d'une montagne, que je contemple le panorama – des verts, des jaunes, et le soleil à la verticale, qui réduit mon ombre à une boule resserrée autour de mes pieds. Quand le soleil baisse dans le ciel de l'après-midi, l'ombre se déroule et s'étire vers l'horizon, longue et mince, loin derrière moi… »
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