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Critique de Dinoscope


Autant vous dire qu'en abordant Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank, le sentiment de toucher à un mythe s'était emparé de moi dans la mesure où Les Evadés constitue, probablement, l'un de mes films préférés. Un long métrage que je connais pour ainsi dire par coeur pour l'avoir vu une bonne grosse trentaine de fois : raison sans doute pour laquelle je n'avais jamais cherché à en explorer la matière première. En effet, le propre de la lecture, c'est de pouvoir, à partir de ce que nous donne l'auteur, participer à la construction d'un imaginaire partagé avec lui, sur lequel on a donc pu avoir une certaine marge de créativité. Lire une histoire dont on a vu l'adaptation cinématographique constitue donc quelque chose de frustrant puisque le réalisateur vient, bien involontairement, sans cesse court-circuiter notre relation avec l'auteur. Bref, c'est comme partager un plan à trois avec l'ex de votre moitié : vous savez que vous y avez pleinement votre place, mais ne pouvez pas vous empêcher de vous sentir exclu du truc.

Alors, bien que le risque de frustration soit mathématiquement proportionnel au nombre de visionnage, Franck Darabont ayant eu, comme je vous l'ai expliqué, tout loisirs de me priver de toute possibilité de construire quoique ce soit avec Stephen King, et bien que l'édition que j'ai choisi ait mis en couverture Tim Robbins et Morgan Freeman, dont les traits seront obligatoirement, tout du long des 94 pages, ceux d'Andy Dufrenes et de « Red », et bien, malgré tout cela, j'ai éprouvé un énorme plaisir à redécouvrir cette histoire et à partager ce plan à trois avec Stephen King et Franck Darabont, ce qui n'avait pourtant pas été le cas avec La Ligne Verte, que j'avais là aussi vu et adoré avant de découvrir la nouvelle.

Mais qu'en est-il du pitch, pour ceux qui seraient passés à côté du film ? Certains vous diront que cette nouvelle raconte l'histoire d'Andy Dufresnes, un banquier condamné à perpétuité pour le meurtre de sa femme et de son amant. Personnellement, et c'est encore plus vrai après lecture, Les Évadés – et donc Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank – raconte l'histoire d'Ellis Boyd Redding, alias « Red », condamné à purger trois fois la perpétuité. En effet, si l'histoire d'Andy Dufresnes et, cessons le suspense, de son évasion constitue le fil rouge de cette nouvelle, c'est avant tout pour Red, en tant que narrateur, l'occasion de nous dépeindre l'univers carcéral qui fut le leur pendant trois décennies (entre 1948 et 1977) : un univers sombre et violent dans lequel dénote complètement le personnage d'Andy Dufresnes qui, déjouant tous les pronostics, parvient à y trouver sa place et à y apporter un peu de lumière et d'espoir, comme s'il était l'allégorie de la Liberté. Mais par le biais d'Andy Dufresnes, « Red » nous permet surtout de découvrir le cheminement qui est le sien vers une certaine forme de rédemption.

En cela, que ce soit celui de la nouvelle ou celui de son adaptation cinématographique, les titres sont très révélateurs. En effet, là où il n'y a en réalité qu'un seul et unique évadé, le film utilise le pluriel, tandis que le roman parle de rédemption là où il n'y a en fait que pour « Red » que celle-ci soit possible.

Ce qui est très marquant, à la lecture de la nouvelle, c'est que l'adaptation en est très fidèle, la voix de Morgan Freeman – en tout cas celle de Benoît Allemane, son doubleur – résonnant tel un écho à la lecture de nombreux passages. Là où le plaisir s'est principalement manifesté, c'est justement dans cette navette que je n'ai cessé de faire entre ce que je lisais et son adaptation à l'écran, entre les anecdotes de Stephen King qui sont devenues des arcs narratifs à part entière pour Franck Darabont ou, au contraire, ces informations données par l'auteur sur certains de ses personnages qui ont été réduites à de simples allusions par le réalisateur. Davantage que de me sentir exclu dans cette relation à trois, j'ai eu l'impression d'être à la fois le complice de Stephen King et Franck Darabont. J'ai vu, a posteriori, tous les clins d'oeil à côté desquels je suis passé lors de mes nombreux visionnages, ce qui m'a irrémédiablement donné envie de revoir le film.

Mais oublions Les Evadés ! Oublions Franck Darabont, Tim Robbins ou encore Morgan Freeman pour revenir à Stephen King. Si ce dernier a de quoi attiser ma curiosité, in fine, les rares fois où je m'y suis attelé, ça n'a jamais « matché ». le style de Stephen King m'a toujours posé problème sans que je ne parvienne jamais vraiment à l'identifier. Mais je dois dire que, pour le coup, ça a véritablement « matché ». Sans doute mon affection pour le film et l'histoire m'ont-elles mises dans de meilleures dispositions. Sans doute la voix de Benoît Allemane et celle de Morgan Freeman ont-elles donné aux mots de Stephen King une musicalité à laquelle je n'avais, jusque-là, pas prêté l'oreille. Sans doute le récit à la première personne, visiblement chose rare chez King, m'a-t-il aidé à mieux m'approprier son style à moins que ce ne soit King qui ait été contraint d'adapter son style à la narration.

Ce point constitue d'ailleurs l'une des forces de la nouvelle par rapport au film, même si j'ai l'impression d'enfoncer une porte ouverte à coup de bulldozer. En effet, si dans les deux cas l'histoire nous est contée du point de vue de « Red », de part la nature même du cinéma, le film nous amène obligatoirement à objectiver ce point de vue, par le truchement de la caméra. Et j'en reviens donc à cette relation avec l'auteur que j'ai finalement pu nouer, découvrant véritablement cette histoire sous l'unique point de vue de « Red », ce qui m'éloigne d'Andy Dufresnes dont il est désormais le seul intermédiaire. Les deux personnages y gagnent considérablement en force et en puissance, l'histoire prenant des airs de conte pour adulte dont le réalisme tranche avec le genre fantastique sur lequel Stephen King s'est pourtant forgé sa réputation.
Lien : https://www.dinoscope.photo/..
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