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Critique de Gabylarvaire


Un hôtel hanté, un huis-clos loin de toute civilisation, un hiver très rude, un homme soumis à ses colères et sa dépendance, victime d'un passé violent dans sa famille, une mère et son fils tributaires des choix et de la folie d'un mari, un enfant possédant un fort don qui leur permettra d'appeler à l'aide…

Comme beaucoup, j'ai vu le film et n'avais pas lu le roman. Bon c'est chose faite à présent.

Comme beaucoup, je sais que Stephen King n'a pas aimé l'adaptation car je le cite: «Dans le livre, il y a un arc narratif où tu vois cet homme, Jack Torrance, essayer d'être bon, mais petit à petit il évolue dans cet endroit et devient fou. En ce qui me concerne, quand j'ai vu le film, j'ai remarqué que Jack était fou dès la première scène. » Tandis que l'un montre un homme sous l'emprise d'un hôtel hanté, l'autre montre un homme déséquilibré en proie à sa colère et ses hallucinations. L'erreur de Kubrick est l'ellipse temporelle brutale (un mois plus tard) qui nous empêche de mieux connaître Jack avant l'hôtel, et donc absent de la lutte qu'il a avec lui-même.

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Je ne pourrais jamais dire que je préfère le livre au film, comme pour Blade Runner, les deux se valent. Tandis que l'un est un génie de l'écriture, happant son lecteur jusqu'au dernier mot, l'autre, par ses nombreux travellings avant et arrière, ses forts plongées et contre-plongées, ses plans fixes qui détonnent la symétrie (et les fausses symétries) avec une froideur incomparable (des plans larges d'ailleurs, peu commun dans l'horreur), les faux champ-contre-champs, le choix de perdre le public (le labyrinthe, mais également la moquette, les couloirs, les murs – des pièces qui changent de volume, de place, de couleurs, donnant l'impression que les murs de l'hôtel se déplacent – des plans qui nous perdent dans l'espace provoqués également par des plans à travers les miroirs, des raccords en fondus enchaînés qui nous brouillent dans l'espace et le temps, le découpage temporel du film de moins en moins précis…), l'éclairage et les musiques évidemment qui sont toujours essentielles à Kubrick, et qui accompagnent avec précision la forme et le fond de ses plans, le son (la machine à écrire, le tricycle dans les couloirs, la balle projetée dans le hall, les coups de hache, etc… ) et la direction des acteurs (une pensée pour la pauvre Shelley Duvall qui a énormément souffert) et toute la symbolique sur la violence ( la violence sur les Natifs – pourquoi Kubrick choisit de dire que l'hôtel a été construit sur un cimetière indien ? La violence sur les afro-américains, la violence et la désintégration de la cellule familiale) est un incroyable réalisateur… Tout cela montre qu'ils se valent même dans leurs différences : deux grands génies.
Mais est-ce que deux grands génies se comprennent forcément ? Il est clair ici, que non.

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Mon ressenti : l'oeuvre de King est-elle si différente de son adaptation ?
Mais voilà, si Stephen King maîtrise son sujet, il ne maîtrise pas le lecteur et pendant ma lecture je me suis posé cette question : Jack est-il vraiment une victime sous l'emprise d'un hôtel hanté ? Pourtant il a toutes les prémices pour péter un plomb tout seul. Notamment, lorsqu'il raconte son enfance avec un père très violent (la description du tabassage de la mère avec les lunettes cassées dans la purée, détail qui rend l'oeuvre d'une véracité dérangeante), son alcoolisme, ses rapports douteux avec son épouse, sa violence amnésique, ses colères, etc… On peut admettre que quelque chose cloche dans le cerveau de monsieur Torrance même avant son arrivée à l'hôtel. Utiliser l'alcool comme excuse à sa violence et penser qu'en y faisant abstraction, cette colère aura disparue. Mais n'est-elle pas cachée dans l'ombre et le confinement ne peut-il pas la réveiller? Et lorsque l'on fait une analyse plan par plan du film de Kubrick, on se rend bien compte que l'hôtel est hanté et que c'est par cette forme et non par son fond, que le film est plus fidèle au roman que ce qu'il n'y paraît. Mais cela ne tient qu'à UN mot : « interprétation ». Et l'interprétation est quelque chose de totalement subjective. Donc hôtel hanté ou homme fou dans les deux versions?

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Dans le film, le « don » n'est pas quelque chose de primordial, tandis que le roman met logiquement beaucoup plus l'accent sur ce Shining (l'Enfant Lumière était le titre dans les premières éditions françaises), qui en fait le titre de l'oeuvre. Car dans l'adaptation, Danny pourrait tout aussi bien être un gosse « normal » que cela ne changerait pas vraiment l'histoire car même si l'enfant invoque Hallorann (bip bip bip bip bip pour ceux qui n'ont pas vu le film), son intervention est aussi brève qu'inutile (concernant le don, car dans l'histoire, c'est hautement symbolique).
Et c'est là !!! oui je pointe mon doigt mais personne ne me voit, c'est là que le roman devient une oeuvre à part qui mérite d'être lu même si vous kiffez grave le film ! le choix de Kubrick de faire du don de Danny une anecdote, donne entièrement les armes au charisme indiscutable de Nicholson, offrant l'image du père « fou furieux » dès le début, tant déprécié par l'auteur. Et on se demande, on pourrait imaginer, que Kubrick n'a lu que les 300 premières pages, en omettant toutes les dernières parties qui donnent son titre au roman. La menace dans le film est Jack et uniquement Jack (d'ailleurs on ne verra pas l'agression de Danny dans la chambre interdite, mais uniquement son pull déchiré et les marques dans le cou, qui pourraient être tout aussi bien, finalement être un acte de Jack…). Alors que dans le roman, tout l'hôtel est une menace et le Shining est là pour protéger Danny un maximum.

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J'ai beaucoup aimé le roman. Etonnement, il m'a été plus facile de dissocier les personnages aux acteurs que ce que je pensais, tout simplement parce que la Wendy du roman est plus forte (de toute façon les figures féminines chez Kubrick sont souvent fantomatiques ou responsables des problèmes). On aura donc une Wendy beaucoup plus intéressante, beaucoup plus courageuse et confiante. Jack aussi est très différent, en lutte avec lui-même, en lutte avec son alcoolisme, on sent un homme qui veut être un bon père, et qui se retrouve acculer à des choix qu'il ne peut contrôler à cause de sa dépendance passée. Il ne ressemble pas à un déséquilibré mais à un homme qui veut faire au mieux et on éprouve de l'empathie pour lui. Et Danny est beaucoup plus éloquent. D'autre part, tout le passage du déni des adultes face aux « surnaturelles » est nettement plus captivant, que ce soit Jack et les animaux du buis, ou le docteur qui prend Danny pour un mentaliste précoce lorsque ce dernier confie quelque chose d'assez extraordinaire. Et il y a aussi « l'emprunt » du passe-partout qui montre un petit garçon bien trop curieux, ou qui lui aussi veut vaincre ses démons en dépassant sa peur, ou se prouver qu'il n'y a rien, qu'il n'y a rien, qu'il n'y a rien… Jusqu'à l'agression physique et bien réel.
Je n'ai pas aimé certains passages du roman que j'ai trouvé trop " kitch" comme les buis qui s'animent. Je pense qu'il souhaitait peut-être sortir du cliché du fantômes au drap blanc. Difficile, je pense de faire une maison ou un hôtel hanté sans passer parfois dans le kitch... Mais dans l'ensemble c'est un excellent roman de Stephen King et comme c'est le roman de Stephen King le plus lu par nos babelpotes, je pense que vous serez nombreux à le confirmer.


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