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Critique de Nastasia-B


Non, je ne m'en viens pas aujourd'hui deviser auprès de vous du scénario, de la qualité technique, tant de l'écriture que du dessin à propos de cette BD. Pour ceux que cela intéresse, je renvoie très volontiers vers la critique de Davalian publiée sur Babelio le 22/03/2017 et avec laquelle je me sens globalement en accord.

J'ai décidé, pour ma part, de m'interroger sur la portée symbolique à la fois de cette série à succès (sur quels sentiments conscients ou inconscients joue-t-elle dans ce premier tome ?) que sur son ressort horrifique, l'étonnante figure du zombi (normalement orthographié tel quel en français) mais désormais plus couramment avec un e final, ce qui constitue encore un anglicisme de bas aloi, mais l'on n'est plus à cela près, sachant qu'on n'a même pas pris la peine de traduire dans notre langue le titre de cette série. (C'est bizarre, si le texte original avait été en serbo-croate ou en swahili, je doute que l'on nous l'ait servi tel quel, mais bon, bref, passons l'ambiante, affligeante, avilissante soumission à la pensée unique, culture unique en gros saxonne…)

Le zombi, donc. Étrange figure, n'est-ce pas ? Non, ce n'est pas le verlan de bison, c'est bien un emprunt à la culture vaudou. de quoi était-il question dans ladite culture, tout particulièrement dans sa forme haïtienne ? On sait que les croyances et notamment les croyances surnaturelles ayant trait à la malédiction, en Afrique équatoriale occidentale, disons, pour faire simple, autour du Golfe de Guinée, ont encore à l'heure actuelle une vigueur, une puissance, un caractère d'épouvante parmi les populations locales difficilement concevable pour quiconque n'a jamais eu l'occasion de séjourner quelque temps là-bas. C'est réellement très présent et impressionnant et je n'ose même pas imaginer ce que cela pouvait être il y a deux ou trois siècles, par exemple. Elles furent transportées en même temps que les esclaves dans les Antilles et, plus généralement, au sein de toutes les populations nord ou sud américaines d'origine africaine.

Le sorcier, le chaman ou tout autre appellation qu'on voudra bien lui accoler est lui aussi une figure cruciale dans cette culture vaudou. Son pouvoir, bien souvent, provenait d'un savoir ancestral et basé sur la maîtrise des propriétés des substances toxiques ou hallucinogènes, quelle que soit leur origine (le plus souvent végétale mais l'on savait et l'on sait toujours faire feu de tout bois, de tout champignon, de toute grenouille ou chenille aux propriétés chimiques intéressantes).

L'une des nombreuses plantes toxiques faisant partie de l'arsenal du sorcier vaudou de base est le datura qui, par un procédé qu'il n'est pas utile de détailler ici, fonctionnait comme antidote à la tétrodotoxine, poison mortel chez l'humain après un certain délai, issu des viscères d'un poisson et préalablement administré au « mort ». La tétrodotoxine plonge quiconque dans un état que n'importe qui de non expert jugerait de mort avant même que la mort véritable n'intervienne. On enterre alors le gugusse, avec force larmes et force chants de circonstance dans un cercueil (avec un minimum d'air tout de même), puis on vient le déterrer dans la nuit. Tout le monde a assisté à l'enterrement et a pu constater que le mort était effectivement bien mort.

Or, c'est là que le sorcier arrive avec ses grigris et ses incantations, fait boulotter discrètement la dose appropriée de datura au « mort », qui, comme par magie (enfin c'est ce que le magicien prétend) se trouve bientôt ressuscité. Et ce n'est pas tout, si le datura, à la dose appropriée, est effectivement un antidote à la tétrodotoxine, il a le don, en plus, de plonger celui ou celle qui le consomme dans un état d'abrutissement, d'amnésie et d'irrésolution qui laisse supposer qu'il ou elle est bel et bien devenu un(e) « zombi(e) ». C'est très pratique pour asseoir la réputation du sorcier et, transitoirement, pour faire faire des choses à l'ex-macabée, rebaptisé zombi pour l'occasion (signer des actes notariés, par exemple, s'il s'agit d'un opulent propriétaire, ce genre de choses, et je vous laisse imaginer l'emploi que l'on peut faire de l'état du patient si le zombi s'avère être une zombie plutôt pas trop moche… Bref, ce genre de choses…)

Bon, ça, c'est pour les origines culturelles et vous noterez qu'elles ne sont nullement occidentales ni imputables aux populations blanches du continent nord américain. Alors voilà, moi, ça va peut-être vous paraître étrange, mais je m'interroge chaque fois qu'un scénariste qui n'appartient ni à cette culture, ni à cet ensemble de croyances s'approprie le concept et essaie de le monnayer auprès de ses semblables qui n'appartiennent pas non plus à ladite culture. Car, à ma connaissance, ça n'existe pas les zombis, donc, si l'on nous parle de zombis, c'est qu'ils véhiculent une valeur symbolique — consciente ou inconsciente d'ailleurs de la part des auteurs — un peu comme la Cigale et la Fourmi ne nous parle pas vraiment d'une cigale ou d'une fourmi lambdas mais symbolise des catégories humaines.

Comment nous sont dépeints les zombis dans Walking Dead ? Ils sont loqueteux, gris, immondes, lents, pas très malins, animés d'un seul désir, celui de vous sucer la moelle avidement et, pire que pire, ils sont contagieux ! À vous faire approcher par un zombi, vous devenez ipso facto un zombi. Ok, rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous, ça surfe sur la même vague que les vampires, si c'est ça ? Euh… non, désolée, pas tout à fait. La majeure partie des représentations de Dracula & consorts nous présentent un être raffiné, non repoussant — a priori — appartenant manifestement à l'aristocratie et qui, par retournement de fortune, s'est fait maladroitement perforer la jugulaire. On n'est jamais envahi par des hordes de vampires et le vampire est, le plus souvent, tout sauf idiot. (Ça vaudrait le coup de réfléchir également à quoi renvoie la figure du vampire, mais ce sera pour une autre fois.)

Donc, cherchez bien, à quoi est-ce que cela fait référence, cette histoire de zombis, avec quoi est-ce que cela résonne dans l'inconscient collectif du public cible, hein ? Nous sommes, je le rappelle, chez des États-Uniens blancs, biens sous tout rapport (lapalissade me direz-vous, car dans l'esprit des États-Uniens blancs, les États-Uniens blancs sont FORCÉMENT biens sous tout rapport, surtout lorsqu'on s'amuse à les comparer à d'autres engeances humaines — quelles que soient les précautions oratoires ou scénaristiques qu'échafaudera Robert Kirkman pour tenter de nous convaincre qu'il ne pense pas comme ça). Alors, souvenez-vous, ils ne sont pas dangereux, ces zombis, quand ils sont peu nombreux mais deviennent terrifiants quand ils se déplacent par foule ?

Non ? Toujours pas ? Voyons réfléchissez : loqueteux, gris, pas très malins, désireux de vous bouffer, qui se déplacent par cargos entiers et vis-à-vis desquels il convient de construire des murs pour se prémunir ? Eh bien, oui, vous avez deviné, ça s'appelle des PAUVRES, des IMMIGRANTS ! Hoouuuhhh ! Des pauvres loqueteux, gris, pas très malins (oui, par définition, les riches Américains blancs considèrent ceux qui n'ont pas leur niveau d'opulence ou d'avancement matériel comme «  pas très malins »), flippants quand ils se déplacent par hordes… Ça ne vous rappelle pas le mur de Trump ? Les migrants honduriens ? Toutes les vermines qui veulent venir se nourrir des tripes des gentils et braves et moraux Américains blancs ? le démon de Malthus, souvenez-vous, hoouuuhhh ! en plus ils sont hyper nombreux, ils se reproduisent comme des lapins hoouuuhhh ! le grand remplacement, ils sont pas des gens comme nous, ils bouffent leurs enfants, en plus, à tous les coups, et ils violent leurs mères, sans doute, j'en suis certaine, et ils tuent tous les honnêtes capitalistes ou leur volent tout ce qu'ils ont, hoouuuhhh ! Et ils sont afghans, maintenant, hoouuuhhh !

Ouais, donc tout ce qui justifie, en somme, une bonne bastos en plein dans le moelleux du crâne, pour en venir à bout…

Alors, c'est vrai, indéniablement, cette série doit avoir des qualités (personnellement, j'y suis peu sensible) : on fait du citoyen américain moyen un potentiel héros de la survie en milieu hostile, on y titille avec un maximum de gore toutes les frayeurs ensevelies dans l'inconscient collectif européen jusqu'au XIXe puis état-unien par la suite. de longue date, Stephen King, par exemple, a fait sa pitance de telles peurs et de telles horreurs ; au cinéma, un film comme Sixième sens, pour prendre un autre exemple, s'abreuve lui aussi à la même source, mais, voyez-vous, chez un gars né en 1978, fan de comics et de super héros, perfusé depuis le berceau à tous les classiques américains du genre, malgré, je le rappelle et je le souligne la pertinence et/ou la qualité de la série par ailleurs, j'ai du mal, personnellement, à y voir autre chose qu'une personnification épouvantable et socialement inquiétante des hordes de pauvres qui pourraient s'abattre sur les pays occidentaux afin de venir leur voler tout ce qu'ils ont — l'argent c'est comme du sang pour un Américain — et de les transformer en pauvres à leur tour. C'est très vraisemblablement inconscient de la part de l'auteur, ce n'est sûrement pas aussi réfléchi ni étayé que dans un livre comme le Camp des saints de Jean Raspail, mais c'est là tout de même et c'est ça qui me gêne.

Ceci dit, comme à chaque fois, souvenez-vous que cet avis gris, lent, loqueteux souffre d'une effroyable subjectivité, qu'il ne représente que celle qui l'émet, c'est-à-dire pas grand-chose sur un total de sept milliards d'avis potentiels. (Pour vous faire une idée de ce que représente un avis sur sept milliards, songez qu'en comptant au rythme régulier d'une personne par seconde, sans jamais vous arrêter pour dormir, boire ou manger ou plus si affinité, eh bien au bout de 32 ans et des poussières, vous auriez péniblement dénombré un milliard d'individus. Il ne vous faudrait donc plus qu'un peu plus de 192 ans pour dénombrer les six milliards restants…)

P. S. (suite à l'excellent commentaire de Foxfire) : Effectivement, celui qui a mis les zombis au goût du jour est bien George A. Romero et, comme vous le soulignez très bien, son propos politique cherchait à interpeler le spectateur. Mais je n'ai pas le sentiment que chez lui le zombi symbolisait la même chose que chez Kirkman. J'ai plutôt l'impression que chez Romero, le zombi symbolisait notre âme profonde qui se révoltait de voir ce que l'on était devenu.

Ainsi, la balle dans la tête pour venir à bout du zombi semblait symboliser quant à elle la nécessité de décérébrer nos âmes ou l'âme de nos ancêtres pour, finalement, parvenir à accepter benoîtement ce que nous sommes devenus. Ici, dans Walking Dead, je n'ai pas le sentiment qu'il y ait une réelle remise en cause du système d'avant, bien au contraire (je ne suis pas allée au-delà de ce premier tome, je le confesse, car j'y ai reçu mon comptant de gore et de sécrétions diverses pour un bon moment). L'idée même de prendre comme héros un policier, un " gardien de l'ordre " n'est pas, d'après moi, une très grande remise en cause du système.
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