AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JIEMDE


Raconter la guerre ; raconter les guerres.

Parmi les théâtres d'opérations extérieures dans lesquels les USA se sont engagés ces dernières années, il y a les plus connus : Afghanistan, Irak, Libye. Et puis il y a les autres, ceux où la guerre est différente, moins visible, officieuse, larvée. Mais c'est la guerre quand même.

Dans Les Missionnaires, Phil Klay – traduit par Laura Derajinski – nous plonge au coeur de la guerre civile colombienne, dans cette période d'avant 2016 où après 220 000 morts, 40 000 disparus et 6 millions de déplacés, un accord de paix entre les FARC et le gouvernement se dessine. Dans la douleur, et toujours dans le sang.

C'est là que se retrouvent Lisette, grand reporter en manque de terrain depuis l'Afghanistan, venue y recueillir la parole des populations civiles, et Mason, agent des forces spéciales US rangé du terrain mais toujours actif depuis son bureau, ses téléphones et ses rendez-vous secrets.

Officiellement, voilà un conflit où les États-Unis ne sont pas engagés mais où tous leurs services rivalisent d'interventionnisme occulte : des intrigues de la CIA aux actions commandos des SEAL, ils y mènent une guerre qui ne dit pas son nom.

Mais qui dit guerre dit ennemi, et une faction guérilléros en chassant souvent une autre, les alliances se faisant et se défaisant au gré du pragmatisme politique, il apparaît bien difficile à définir pour les Américains, posant constamment la question de la légitimité changeante de leur intervention.

Et du côté de la population, le dilemme est souvent le même, à l'image d'Abel dont la famille a été assassinée par les Mil Jesùses, mais qui finira par travailler pour leur chef Jefferson, avant de se ranger puis de lui revenir à nouveau, témoignant malgré lui de la difficulté à choisir un camp, à garder ses convictions et à rester en vie simultanément.

« Si vous voulez que les gens rejettent la paix, présentez-leur des victimes des FARC. Si vous voulez que les gens l'acceptent, reparlez-leur que l'État a du sang sur les mains, lui aussi. » (…) « Il y a vingt ans, je payais le vaccin aux FARC. Il y a quinze ans, je le payais aux paras. Il y a cinq ans, je le payais aux Peludos, et puis aux Urabeños. (Il secoua la tête.) Cet endroit est comme un ballon de foot, et ils se font juste des passes. »

Et puis à La Vigia, dans le Norte de Santander, tout ce petit monde va se retrouver, mettant chacun face à ses responsabilités face à un final sanglant devenu inéluctable.

Les Missionnaires est une grande et ambitieuse fresque romanesque, doublée d'une réflexion politique poussée sur l'évolution de l'intervention des USA dans ces conflits : de l'Afghanistan - guerre ingagnable - à l'Irak – et ses armes de destructions massives qu'on ne trouva jamais –, on est passé à la Colombie (et au Yémen, en Syrie, aux Philippines…).

Klay raconte qu'on ne fait plus la guerre, mais qu'on déploie désormais des successions de missions, pour la plupart occultes. Des missions qui n'ont plus besoin d'objectifs ni de justifications réelles, mais qui ont juste lieu « parce qu'on ne peut pas rester sans rien faire » et que l'équilibre politique de la paix est de plus en plus complexe à trouver.

Si Fin de mission, recueil de nouvelles où Klay racontait les séquelles de la guerre, m'avait emballé, j'ai eu beaucoup plus de mal avec Les Missionnaires, reconnaissant la qualité et la profondeur du travail de l'auteur, mais souvent perdu dans la myriade de factions rivales, les nombreux rappels historiques, et une forme d'hésitation perpétuelle entre le roman et l'essai historico-politique.

Mais pour qui est, comme moi, amateur de livres de guerre, de politique et d'histoire contemporaine, alors Les Missionnaires se doit d'être lu.
Commenter  J’apprécie          270



Ont apprécié cette critique (26)voir plus




{* *}