Ces jours-ci, une idée me traverse parfois l'esprit tandis que je suis allongée dans mon lit, à essayer de dormir : je suis brisée, je suis brisée et j'ignore comment j'arriverai à combler ce trou que j'ai percé dans mon âme.
Pendant la journée, les bâtiments s’élevaient vers les pentes vertes et luxuriantes, et la nuit, les lumières de la ville dévalaient les crêtes comme des rivières scintillantes. Les gens y étaient plus accueillants, plus directs, plus honnêtes. Même les politiciens semblaient mentir plus honnêtement.
Il y a vingt ans, je payais le vaccin aux FARC. Il y a quinze ans, je le payais aux paras. Il y a cinq ans, je le payais aux Peludos, et puis aux Urabeños. (Il secoua la tête.) Cet endroit est comme un ballon de foot, et ils se font juste des passes.
On ne vit pas pour ses coéquipiers. On se prépare à mourir pour eux. C’est très différent.
Je me rendis donc dans la forêt, suivant un petit sentier, et je vis près d'une pile de bois le cadavre d'un homme nu enchaîné par le cou à un arbre. Sa tête était affaisée et son corps couvert d'ecchymoses. Je m'approchai de lui, sachant que c'était ce que Jefferson voulait me montrer, je posai la main sous son mention et relevai le visage vers le mien, et les yeux morts d'Osmin me rendirent mon regard.
Quand je suis arrivée ici, j'enrageais de voir l'indifférence de la plupart des gens, chez moi, face à la mort des Afghans. Tous ces êtres humains qui souffraient, qui mourraient, qui se battaient avec un courage qui peut vous motiver pendant au moins quelques années. C'est un sentiment que je doute de retrouver un jour. Ces jours-ci, une idée me traverse parfois l'esprit tandis que je suis allongée dans mon lit, à essayer de dormir : je suis brisée, je suis brisée et j'ignore comment j'arriverai à combler ce trou que j'ai percé dans mon âme.
C'est alors que j'entends la détonation bien plus puissante de la deuxième bombe.