AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Zebra


Zebra
09 novembre 2014
Chan Koon-chung est né à Shanghai le 1er juin 1952. Critique d'art, il écrit en 2009 « Shengshi : Zhongguo 2013 », en français « Les années fastes » (en fait, « Chine : 2013, l'année des vaches grasses »), ouvrage qu'il dédie à l'actrice Zhang Yu Qi. Paru tout d'abord à Taïwan puis à Hong Kong, « Les années fastes » a connu un succès rapide car Chan Koon-chung abordait les principaux tabous de la société post-communiste chinoise : « manipulation des masses par un Parti autoritaire, complaisance des intellectuels », lutte contre la dissidence, homogénéisation forcée du peuple, pour n'en citer que quelques-uns, à tel point que le livre a été interdit en Chine Continentale. Mais Internet et quelques traductions (en anglais et en français) ont eu tôt fait de cet interdit. Édité chez Grasset en 2012, ce livre de 415 pages présente en couverture un portrait de Mao Zedong masqué aux 4/5èmes par une émoticône rouge (la couleur du bonheur), partiellement déchirée, ce qui signe la tonalité de l'ouvrage écrit en avance de phase (nous ne sommes pas encore en 2013), probablement pour ne pas affoler exagérément la critique !

Le livre se compose de 3 parties. La première partie présente les personnages principaux ; la seconde partie raconte l'histoire de Lao Chen, béat d'admiration envers la politique du PCC et par le confort matériel dans lequel il vit, jusqu'à ce qu'il rencontre Fang Caodi, un des rares Chinois à se souvenir que le régime a effacé 28 jours de son histoire ; la troisième et dernière partie consiste en un long monologue énoncé par He Dongsheng, un important responsable du PCC : l'homme dévoile devant Lao Chen et Fang Caodi les dessous de la politique conduite par le gouvernement en place, réduisant toute opposition à néant grâce à l'injection d'une drogue euphorisante dans les canalisations. Sous des apparences de roman, c'est toute la Chine d'aujourd'hui que vous observez à la loupe. D'abord, la place du Parti unique et les attentes légitimes de la population ; puis, l'attitude du peuple, parfois complice du Parti (certains ont en effet préféré coopérer pour profiter des avantages qui leur étaient proposés en échange de leur silence, plutôt que de se rebeller contre le système comme le fait l'héroïne du roman, Xiao Xi) ; le rôle des intellectuels qui semblent avoir sombré dans le sommeil dès lors que la Chine connaissait la prospérité et que le PCC leur promettait des gains matériels et un statut social ; le tour de passe-passe auxquels se sont livrés les maitres de la propagande de Pékin puisqu'ils sont parvenus à marier des valeurs incompatibles telles que «démocratie» et «dictature du parti unique», ou «autorité» et «pour le peuple» ou «République multiraciale» et « souveraineté d'un seul peuple » !

« Les années fastes » ressemble à 1984 d'Orwell, avec des frustrations et des désillusions touchant tous ceux qui espéraient que les réformes économiques radicales entreprises par le régime entraineraient dans leur sillage des réformes politiques. Mais le temps a passé et les contextes sont différents. La Chine d'aujourd'hui s'évertue à nourrir sa population (plus d'1,3 milliard d'habitants), à garantir la stabilité intérieure et à tisser des relations d'amitié avec ses voisins. le lecteur occidental a une question : est-ce que ce miracle économique (au mépris de l'environnement et des droits de l'homme) peut durer éternellement ? Mais le Chinois n'en a cure : la vie est beaucoup trop courte et pénible ; pensons à profiter de la vie (page 29) ; vivons pleinement cette époque de paix et de prospérité (page 34) ; l'histoire de la Chine n'est qu'une longue listes de troubles successifs, donc arrêtons de penser à ces blessures et à ces cicatrices, y compris aux plus récentes (les manifestations et le heurts de Tian'anmen), quitte à nous mentir à nous-mêmes pour protéger notre moi profond (page 195) ; les souvenirs sont douloureux : qui ne préfère pas le plaisir à la souffrance ? Doit-on forcer les jeunes à se souvenir de la souffrance de leurs parents alors qu'ils ont les yeux tournés vers l'avenir ? le romanesque est une chose mais la vie réelle en est une autre (page 264) ; quant à se rebeller, le prix à payer est bien trop élevé ! Dans une société modérément prospère, évitons la confrontation directe, acceptons les normes du Parti et privilégions la stabilité générale et notre bien-être. Comme le dit le docteur Pangloss dans Candide de Voltaire : « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Entre « un paradis contrefait et un bel enfer », le Chinois a choisi, même si sous les illusions se cachent de bien tristes vérités.

Un bon ouvrage, troublant voire impertinent, à la fois roman, fable et essai de géopolitique. Un livre qui nous en apprend beaucoup sur l'histoire, les mentalités et la culture Chinoises, et qui force à se poser des questions universelles, des questions qui dépassent les limites géographiques de l'Empire du Milieu. L'intérêt de l'ouvrage c'est aussi de proposer au lecteur les réponses que donneraient des dissidents, des citoyens ordinaires, des membres du Parti, des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des paysans, des minorités ethniques, etc. le style n'a rien d'extraordinaire, le cynisme et les touches d'humour ne sont pas rares. Je mets donc 4 étoiles.
Commenter  J’apprécie          210



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}