L'âme se languit dans la cage étroite du corps. Les gens ressentent la mort, pensent à elle, comme si c'était la fin, alors qu'elle n'est que la suite de la vie, une vie différente.
Le long du trottoir gît un adolescent, peut-être vit-il encore... A côté, trois garçons jouent "aux chevaux" ; ils courent attelés à de longues rênes. Mais voilà que les rênes s'emmêlent, les garçons se consultent, tentent de les démêler, s'impatientent, et comme le corps de l'autre les gêne, ils le poussent du pied. A la fin, l'un d'eux :
- Allons plus loin, il nous dérange !
Ils s'éloignent de quelques pas et continuent à se débattre avec leurs cordes.
page 93
Le monde, c'est la retransformation perpétuelle du mal.
J'ai souvent rêvé et projeté de me rendre en Chine.
Cela aurait pu m'arriver, facilement même.
Ma pauvre Yu-Ya du temps de la guerre japonaise. Je lui ai fait une dédicace en langue polonaise.
Il lui a fallu toute la patience de ses quatre ans pour apprendre le chinois à un cancre comme moi.
Je n'ai rien contre les instituts de langues orientales, avec leurs professeurs, leurs cours magistraux.
Mais chacun devrait aller passer une année dans un village oriental comme celui-là pour y suivre le cours d'initiation d'un professeur âgé de quatre ans.
page 71
Les journaux intimes sont une littérature sinistre et accablante.
Que deviendra le monde si, aujourd'hui déjà, il doit recourir aux catastrophes pour assurer du travail et un but dans la vie aux hommes de notre temps ?
Je voudrais mourir conscient et lucide. Je ne sais pas ce que je pourrais dire aux enfants en guise d'adieu. J'aimerais seulement leur faire comprendre qu'ils sont libres de choisir leur voie.
Je ne suis pas allé en Chine, c'est la Chine qui est venue à moi. La faim chinoise, la misère chinoise de l'orphelin, la mort chinoise des enfants.
page 71
(Contexte : guerre sino-japonaise)
Que deviendra le monde si aujourd'hui déjà, il doit recourir aux catastrophes pour assurer du travail et un but dans la vie aux hommes de notre temps?
Impossible, tout cela. Ressaisissons-nous, sinon nous courons à un marasme, à une asphyxie, à un découragement dont nous n'avons même pas idée.
Que la vie est dure et que la mort semble facile (p160)