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Critique de Kirzy


Andreï Kourkov est sans doute l'auteur ukrainien contemporain le plus reconnu au niveau international. Très récemment, je l'ai entendu dans une interview appeler les Européens à soutenir l'Ukraine en découvrant sa littérature. Je me tiens aux côtés des Ukrainiens en lisant Les Abeilles grises, son dernier roman, paru chez Liana Levi le 3 février dernier, qui plonge le lecteur en 2017 en pleine guerre du Donbass. Forcément, Les Abeilles grises résonnent fortement avec l'actualité et il est impossible de lire sans penser à l'invasion russe. C'est très troublant et apporte un éclairage très particulier sur les événements de 2022.

La première moitié du roman se déroule en zone grise du Donbass, un no man's land déserté et désolée, sur le front tenu depuis 2014 par les séparatistes ukrainiens pro-russes et l'armée ukrainienne gouvernementale. le village de Mala Starogradivka est abandonné, comme hors du temps. Seuls deux habitants y vivent toujours, sous les bombes. Sergueïtch et Pachka, la petite cinquantaine, ex-ennemis d'enfance forcés à se serrer les coudes pour ne pas sombrer dans la solitude et l'angoisse.

Très rapidement, Andreï Kourkov impose un ton atypique - étant donné le sujet - porté par un duo à la routine drolatique dont les dialogues sonnent presque beckettiens, rappelant les interactions étranges entre Vladimir et Estragon d'En Attendant Godot. Se dessine toute l'absurdité de cette vie de survie, sans courrier, sans électricité, dans une pénurie de tout, avec des cadavres de soldats qui jonchent les rues du village sans qu'on parvienne à déterminer à quel camp ils appartiennent.

Dans la deuxième partie, le récit bascule dans une odyssée picaresque sourde d'une menace omniprésente. Sergueïtch quitte sa maison pour trouver un refuge à ses abeilles, des fleurs sauvages plutôt que des trous d'obus. Cette recherche d'un territoire plus sûr le conduit en Crimée ( annexée en 2014 par la Russie de Poutine ). Ce très beau personnage tient autant d'un Ulysse fatigué par la guerre que du Candide voltairien. C'est à travers son doux regard et son humanisme presque naïf qu'on découvre une Crimée vivant sous l'oeil omniprésent de Moscou qui persécute la minorité turcophone musulmane des Tatars.

En fait, ce qui m'a le plus frappé dans ce roman au cadre tragique, c'est la douceur et la poésie qui se dégage des pages. Dans l'absurdité des situations qui cernent Sergueïtch où qu'il aille, celui-ci combat par sa tendresse, par son goût de la vie et son amour de la nature. Lui mise sur la raison et la paix à venir. Les aspirations de cet homme simple célèbre les abeilles, société idéale, ordonnée, fidèle, imperturbable, qui affronte les difficultés collectivement, jusqu'à un surréalisme très inventif ( formidable passage sur les abeilles devenues grises ).

Ce roman est plein de lumière. Ce n'est pas un livre sur la guerre mais sur les gens qui la subissent. le cocasse y voisine brillamment le tragique dans ce terrible drame collectif, toujours à hauteur d'homme. C'est à la fois triste et doux, caustique et mélancolique. Ce grand roman a une voix qui porte loin, rassurante d'humanité.

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