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Critique de Eleusis


Le roman s'ouvre sur un long portrait de l'écrivain Joseph Rivière, décrit du point de vue d'un petit littérateur, Léon, qui fut de loin en loin son admirateur, après la lecture de son premier roman, jusqu'à prendre de plus en plus de recul. Rivière est en effet un écrivain misanthrope, à la fois pur produit de sa génération et comme perdu dans le monde d'aujourd'hui, comme s'il dépareillait forcément dans le décor. On assiste, assez navrés, au lent égarement de ce gars qui aurait pu avoir du talent, on le voit rongé par l'indignation et, surtout, par le ressentiment, au point de finir comme ces polémistes qu'on écoute en diagonale et qui sont suivis par quelques amateurs, pas forcément plus équilibrés non plus. Toujours est-il qu'il y a chez Joseph Rivière quelque chose qui cloche ; on le sent même si on ne sait pas bien pourquoi. Alors quand le narrateur apprend que ce même Rivière file le parfait amour avec une jeune femme dans une île des Caraïbes, forcément, il s'étonne. Rien dans les lettres de l'écrivain ne lui permet de mieux cerner Mathilda et, curieux de découvrir à quoi ressemble la femme qui a réussi à supporter (dompter ?) Rivière, il accepte leur invitation et part pour Odessa, une île repliée sur elle-même, loin de tout.

Mais si tout se passait comme prévu, nous ne serions pas dans un roman. Lorsque Léon rencontre Rivière à son arrivée, il sent que quelque chose ne va pas. Celui évite le sujet Mathilda, le loge chez Lazare, et repousse sans arrêt le moment de la rencontre. Léon, qui espérait recueillir des confidences de la compagne, pour satisfaire sa curiosité et préparer un documentaire sur l'étrange Rivière (n'est-il pas sûr de faire le buzz avec un tel personnage ?) ne sait quoi en penser. L'île qui enveloppe le tout de ses brumes a comme suspendu le temps. C'est alors que le jeu commence.

Car Thomas Kryzaniac se joue de ses pauvres lecteurs. Les révélations tombent, de celles qui vous font reconsidérer toute l'histoire… jusqu'à menacer notre perception du réel. Joseph Rivière serait-il fou ? Ou bien Mathilda ? Et ne serait-ce pas finalement le narrateur, par lequel nous percevons tout, qui nous aurait déformé toute l'histoire… ? Finalement, enfermés dans la grande maison aux larges vitres donnant sur la jungle, comme prisonniers d'un vivarium inversé, les personnages perdent pied – avec le monde extérieur, avec eux-mêmes et enfin avec leurs repères de pensée. La description de l'île et de ses atmosphères changeantes, loin du cliché de la chaleur accueillante des Caraïbes, permet de sentir, intuitivement, et de refléter les états d'esprit desdits personnages.

Tout cela pour servir une intense réflexion sur le langage et la vacuité. L'incompréhension entre Rivière et son non-disciple, entre ce non-disciple et tous ses interlocuteurs, le vide qui s'installe au coeur même des mots que l'on prononce, est un thème qui court, souterrainement, dans tout le roman, et dont on ne nous donne les clés qu'à la fin du roman.
Lien : https://gnossiennes.wordpres..
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