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Critique de HordeDuContrevent


Déambulation enchantée aux fins fonds des forêts finlandaises sur le craquant des fragments d'écorce de pin, des graines de sapins et des brindilles, ces semailles de fées aux douces senteurs de résine…

Gorge d'or est le premier roman d'Anni Kytömäki traduit en français. Saga familiale finnoise s'étendant sur plusieurs décennies, c'est un beau récit teinté de réalisme magique et d'un profond respect des espèces naturels et de la forêt. Il nous questionne également sur notre rapport à la nature sauvage.

L'histoire, qui prend vraiment son temps pour se déployer, est de facture classique et, je dois l'avouer, ne m'a pas énormément enthousiasmée en tant que telle. Nous y découvrons Erik Stenfors, fils d'un riche propriétaire forestier qui ne pense qu'à faire fortune en exploitant ses terres. Erik, lui, aura hérité de la sensibilité de sa mère pour la beauté infinie de la nature. Quand le père rase, le fils protège. Quand le père pense bénéfice tirés du bois de la forêt, industrie florissante en ce début du 20ème siècle marquée par la guerre mondiale, le fils pense préservation de la faune et de la flore qu'elle abrite. Il sait que lorsque la foret rétrécit et se mite, elle cesse d'être mystérieuse, elle devient moins vivante, s'appauvrissant en faune, en flore et en histoires et légendes. La vocation de naturaliste qu'embrasse le fils ne cessera de décevoir l'homme d'affaires. D'autant plus lorsqu'il tombera amoureux de Lidia, jeune militante communiste de la classe ouvrière, une rencontre qui va précipiter sa rupture avec son milieu d'origine. Très vite arrivera, de cette union, la petite et solaire Malla. La saga tourne autour de l'amour tourmenté entre un père et sa fille qui seront un temps séparés, protagonistes qui se débattent comme ils le peuvent au milieu de l'Histoire tragique de la Finlande au début du 20ème siècle marquée par l'indépendance en 1917, la guerre civile sanglante entre les Blancs et les Rouges en 1918, le rapprochement avec l'Allemagne nazie puis le long processus de réconciliation.

Si elle s'avère être très intéressante d'un point de vue historique - j'ai découvert notamment la guerre civile finlandaise qui a des conséquences dans toute la deuxième partie du récit - et éminemment romanesque, non ce n'est pas l'histoire en tant que telle qui m'a fait dévorer ce livre, je dois avouer, mais la présence omniprésente et sensorielle de la forêt qui devient lieu de refuge magique et salvateur pour toutes les personnes qui savent la regarder, l'entendre, la respecter. Dès que la jupe frangée des sapins est délicatement soulevée, c'est un univers relié au cosmos qui s'offre à nous. Un univers où la forêt est vivante et où les frontières avec les humains peuvent devenir poreuses. Pour qui sait voir, les cheveux de l'aimée prennent ainsi une teinte « de sentier tapissé d'aiguilles de pin qui couvrent le dos telle une fine toile d'araignée », tandis que les hommes au coeur pur peuvent se transformer en ours, à moins que ce ne soit l'inverse. Les arbres sont les protagonistes centraux du livre. Les grands pins majestueux, voute d'un vert profond, dont les mains se serrent laissant apparaitre, quand la brume bleutée se dissipe, entre leurs doigts, des rubans de ciel étoilé ou des lambeaux d'un bleu profond, mais aussi les vieux érables, les chênes rugueux et les bouleaux à l'écorce craquelée. Des arbres à l'image des hommes, de toute sorte, aux troncs parfois percés de trous et à l'écorce déchirée, rongée par les chancres et les polypores. Tout le monde a sa place dans la forêt, même les êtres différents, surtout les êtres solitaires et sauvages.

« Nous allons dans la forêt. Je la considère déjà comme la mienne, pour autant qu'une forêt puisse appartenir à qui que ce soit : je sais où veiller à ne pas piétiner une piste de fourmis ou à avertir une mésange charbonnière craintive, et où les arbres morts grincent l'un contre l'autre dans les bourrasques. La forêt m'accueille, me reconnait comme lui appartenant, bien plus que l'inverse : la mésange fait taire son cri d'alarme, les moustiques semblent moins agressifs qu'au début. Les arbres continuent pourtant de cacher des secrets. La forêt en sait plus sur nous que nous sur elle ».

A la fois refuge pour qui veut se cacher, nid protecteur pour qui veut s'éloigner de la société, berceau des contes et des légendes de tout un peuple, gardienne de secrets, pourvoyeuse de multiples trésors (et notamment des myrtilles omniprésentes à m'en faire saliver), la forêt est sublimée. Je suis venue moi aussi rechercher ce lien avec la nature en ouvrant ce livre, si l'histoire a pris plus de place que je ne le pensais de prime abord, j'ai trouvé de manière croissante au fil des pages une beauté et une quiétude sylvestre, une liberté enchanteresse, qui m'ont profondément touchée. J'ai eu l'impression de ressentir le craquement des brindilles sous les pas, la texture molle d'une tourbière, d'entendre le martèlement d'un pic noir sur un pin… Pour exprimer les émotions, Anni Kytömäki utilise les éléments, les matières. Ainsi, une rencontre amoureuse d'Erik à Helsinki : « Des pulsations caverneuses me parviennent, grondement de lointains rapides ou cognement de tuyaux. À moins que ce ne soit mon coeur, de nouveau. Puis l'eau se tait. La forêt bruisse doucement. Une fée écrase des branches de sapin et s'approche sur la pointe des pieds ».

L'écriture est simple tout en étant très riche et précise en vocabulaire ayant trait à la nature. Un oiseau n'est jamais un oiseau mais un pic, un « rosalin cramoisi », un Rouge-Gorge, une mésange, entre mille autres ; de même chaque plante, chaque arbre sont nommés précieusement, avec exactitude. Chaque oiseau émet son bruit bien précis, il « tintine », il pousse des « trilles » ; les trains taquetaquent, les bourdons vrombissent. La poésie émane non pas de l'écriture mais de ce qu'elle décrit et des sensations qu'elle réussit avec brio à faire émerger. Elle émane aussi des ambiguïtés subtiles qui brouillent le discours par moment où nous devinons juste ce qui est dit. Il en est ainsi lorsque nous comprenons que Lidia est enceinte, lorsque l'homme et l'ours à la gorge d'or ne forme – peut-être – qu'un. Mais soulignons-le, c'est un roman d'aventure nordique et non une aventure de l'écriture, l'écriture restant simple et fluide.

Un livre qui m'a touchée dans le rapport au monde qu'il propose et la liberté qu'il nous engage à avoir. Des beautés fulgurantes claquent par moment tels des éclairs faisant vibrer l'âme…Tels ces gestes d'amour, les derniers, pour sa femme en train de mourir, devenue squelettique. « C'est un paquet d'os, d'os d'une incompréhensible beauté ».

Je vous invite à découvrir le superbe retour de @mesrives qui m'a donné envie de lire ce livre. Elle explique avec subtilité les influences finlandaises et norvégiennes qui résonnent dans ce beau roman scandinave. A noter que ce livre a été nominé pour le prix Finlandia, l'équivalent du prix Goncourt en Finlande, et le prix de littérature du Helsingin Sanomat. Et je comprends pourquoi...


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