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Anne Colin du Terail (Traducteur)
EAN : 9782374253749
640 pages
Rue de l'échiquier (31/08/2023)
4.39/5   27 notes
Résumé :
L’histoire de Gorge d’or se déroule en Finlande entre 1903 et 1937. On y rencontre Erik Stenfors, fils d’un riche propriétaire forestier, Lidia, militante de la classe ouvrière, et leur fille Malla. Il y a aussi Joel, un orphelin marqué par le souvenir de son père communiste, et… un ours.

Gorge d’or emporte le lecteur dans le récit de certains événements de l’histoire de la Finlande (Première Guerre mondiale, indépen-dance de 1917, guerre civile de 1... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Je traverse la brume bleutée sous une fine pluie, les dernières myrtilles jonchent le sentier, déjà la forêt s'éloigne et une clairière m'accueille, lumière, couleurs, odeurs et parfums m' inondent et les bruits et les sons m'accompagnent encore. Je suis en équilibre de retour d'une grande traversée et remercie Anni Kytömäki pour ce bain de forêt, ce shinrin yoku aux essences finlandaises offert par Gorge d'or.

« La forêt est une hutte de bois habitée par d'innombrables peuples », elle la gardienne distille ses mystères à ceux qui veulent bien l'entendre, Gorge d'or, est l'un des noms de ses nombreux secrets . Cet organisme vivant, vibrant, hospitalier pour celui qui le respecte et effrayant pour celui qui ne le connaît pas Anni Kytömäki en a fait un écrin et réceptacle des espoirs et blessures de ses protagonistes pour y ancrer une odyssée familiale dont la trame se renforce et se tend au fil des noeuds qui cèdent .

Première moitié du 20ème siècle, dans une Finlande rurale l'industrie forestière est florissante, la généralisation des machines à vapeur depuis 1850 a induit la construction de voies ferrées pour l'acheminement du bois de chauffage, de construction, les scieries se multiplient à travers tout le pays. Erik Stenfors fils d'un grand propriétaire et exploitant forestier, témoin de cet essor, grandit dans ce contexte au manoir d' Aspholm à quelques kilomètres d'Helsinki. Il collectionne très tôt les cadeaux de la nature (traces animales et végétales), ce qui l'amène à s'orienter plus tard vers des études d'ornithologie, de naturaliste, s'intéressant à tout ce qui orne son environnement. Adulte ses marches et vagabondages lui permettent d'oublier ses peurs et traumatismes, ses observations assidues deviennent indispensables à sa survie jusqu'à ce que son père lui demande de reprendre la relève et de répertorier des forêts intouchées pour de futurs investissements. Malgré la divergence de leur point de vue sur la gestion de ces espaces Erik accepte. Les forêts, ses forêts Erik ne les quittera jamais, elles vivent en lui et se nourrit d'elles. Seule une parenthèse hivernale existentielle de quelques mois l'en éloignera où il s'approchera des grandes étendues du cercle polaire annonciatrices de la toundra.

Avec Gorge d'or, Anni Kytömäki nous entraîne dans un cataclysme émotionnel grâce au lien qui unit Erik Stenfors à sa fille unique Malla, née de l'union avec son premier amour, Lidia, sa farfadette et nous emporte dans les tourbillons de l'Histoire en déroulant les cinq premières décennies du 20ème siècle, une période mouvementée avec la déclaration d'indépendance en 1917 puis la guerre civile meurtrière de 1918, affrontement entre Rouges et Blancs, jusqu'au long processus de réconciliation. Une Histoire subie ou endossée par les les différents protagonistes qui nous fait vivre les soubresauts de tout un peuple.

Une fresque familiale qui immerge le lecteur dans la vie quotidienne de la population finlandaise en proie aux conflits sociaux et politiques et qui annonce les prémices d'une vision écologique pour gérer ce riche et magnifique patrimoine naturel. Anni Kytömäki nous donne les clés de ces forêts magiques et mystérieuses où chaque élément participe à la composition d'une partition. Des plantes passeuses, des arbres fétiches, des lieux cachés, des pierres sacrées, des animaux totems et de nombreux oiseaux signes de synchronicité comme la Chouette de l'Oural, le Pic noir, le Rouge gorge participent à créer un univers onirique.

Le monde vivant, la nature sont décrits avec précision et par petites touches Anni Kytömäki évoque le travail du monde invisible par la perception d'un autre espace, souterrain ou aérien. Erick et Malla cheminent ainsi vers un un état de reliance, reliance cosmique avec les éléments naturels et reliance sociale à travers les croyances et mythes partagés, une transmission puissante de l'amour des forêts de père en fille s' inscrit dans leur être procurant une force et énergie indomptables.

Gorge d'or une manière de transcrire notre présence au monde, un mélange subtil de friluftsliv , art de vivre norvégien consistant à passer de longues heures dans la nature afin de trouver l'apaisement et de sisu, mot finnois qui évoque courage et résilience.

Je remercie Anni Kytömäki qui nous offre avec Gorge d'or un livre pluriel et multisensoriel, un récit construit comme une habile invitation à titiller notre propension à l' émerveillement et à accueillir l'inattendu.
Je remercie également la traductrice Anne Colin du Terrail qui nous permet de goûter à l'écriture précise et poétique de l'auteure tout en découvrant son univers romanesque.

Mussée dans un sofa, quelques aiguilles de pin s'échappent de ma chevelure, je rêve encore...

Une lecture shinrin yoku.

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Déambulation enchantée aux fins fonds des forêts finlandaises sur le craquant des fragments d'écorce de pin, des graines de sapins et des brindilles, ces semailles de fées aux douces senteurs de résine…

Gorge d'or est le premier roman d'Anni Kytömäki traduit en français. Saga familiale finnoise s'étendant sur plusieurs décennies, c'est un beau récit teinté de réalisme magique et d'un profond respect des espèces naturels et de la forêt. Il nous questionne également sur notre rapport à la nature sauvage.

L'histoire, qui prend vraiment son temps pour se déployer, est de facture classique et, je dois l'avouer, ne m'a pas énormément enthousiasmée en tant que telle. Nous y découvrons Erik Stenfors, fils d'un riche propriétaire forestier qui ne pense qu'à faire fortune en exploitant ses terres. Erik, lui, aura hérité de la sensibilité de sa mère pour la beauté infinie de la nature. Quand le père rase, le fils protège. Quand le père pense bénéfice tirés du bois de la forêt, industrie florissante en ce début du 20ème siècle marquée par la guerre mondiale, le fils pense préservation de la faune et de la flore qu'elle abrite. Il sait que lorsque la foret rétrécit et se mite, elle cesse d'être mystérieuse, elle devient moins vivante, s'appauvrissant en faune, en flore et en histoires et légendes. La vocation de naturaliste qu'embrasse le fils ne cessera de décevoir l'homme d'affaires. D'autant plus lorsqu'il tombera amoureux de Lidia, jeune militante communiste de la classe ouvrière, une rencontre qui va précipiter sa rupture avec son milieu d'origine. Très vite arrivera, de cette union, la petite et solaire Malla. La saga tourne autour de l'amour tourmenté entre un père et sa fille qui seront un temps séparés, protagonistes qui se débattent comme ils le peuvent au milieu de l'Histoire tragique de la Finlande au début du 20ème siècle marquée par l'indépendance en 1917, la guerre civile sanglante entre les Blancs et les Rouges en 1918, le rapprochement avec l'Allemagne nazie puis le long processus de réconciliation.

Si elle s'avère être très intéressante d'un point de vue historique - j'ai découvert notamment la guerre civile finlandaise qui a des conséquences dans toute la deuxième partie du récit - et éminemment romanesque, non ce n'est pas l'histoire en tant que telle qui m'a fait dévorer ce livre, je dois avouer, mais la présence omniprésente et sensorielle de la forêt qui devient lieu de refuge magique et salvateur pour toutes les personnes qui savent la regarder, l'entendre, la respecter. Dès que la jupe frangée des sapins est délicatement soulevée, c'est un univers relié au cosmos qui s'offre à nous. Un univers où la forêt est vivante et où les frontières avec les humains peuvent devenir poreuses. Pour qui sait voir, les cheveux de l'aimée prennent ainsi une teinte « de sentier tapissé d'aiguilles de pin qui couvrent le dos telle une fine toile d'araignée », tandis que les hommes au coeur pur peuvent se transformer en ours, à moins que ce ne soit l'inverse. Les arbres sont les protagonistes centraux du livre. Les grands pins majestueux, voute d'un vert profond, dont les mains se serrent laissant apparaitre, quand la brume bleutée se dissipe, entre leurs doigts, des rubans de ciel étoilé ou des lambeaux d'un bleu profond, mais aussi les vieux érables, les chênes rugueux et les bouleaux à l'écorce craquelée. Des arbres à l'image des hommes, de toute sorte, aux troncs parfois percés de trous et à l'écorce déchirée, rongée par les chancres et les polypores. Tout le monde a sa place dans la forêt, même les êtres différents, surtout les êtres solitaires et sauvages.

« Nous allons dans la forêt. Je la considère déjà comme la mienne, pour autant qu'une forêt puisse appartenir à qui que ce soit : je sais où veiller à ne pas piétiner une piste de fourmis ou à avertir une mésange charbonnière craintive, et où les arbres morts grincent l'un contre l'autre dans les bourrasques. La forêt m'accueille, me reconnait comme lui appartenant, bien plus que l'inverse : la mésange fait taire son cri d'alarme, les moustiques semblent moins agressifs qu'au début. Les arbres continuent pourtant de cacher des secrets. La forêt en sait plus sur nous que nous sur elle ».

A la fois refuge pour qui veut se cacher, nid protecteur pour qui veut s'éloigner de la société, berceau des contes et des légendes de tout un peuple, gardienne de secrets, pourvoyeuse de multiples trésors (et notamment des myrtilles omniprésentes à m'en faire saliver), la forêt est sublimée. Je suis venue moi aussi rechercher ce lien avec la nature en ouvrant ce livre, si l'histoire a pris plus de place que je ne le pensais de prime abord, j'ai trouvé de manière croissante au fil des pages une beauté et une quiétude sylvestre, une liberté enchanteresse, qui m'ont profondément touchée. J'ai eu l'impression de ressentir le craquement des brindilles sous les pas, la texture molle d'une tourbière, d'entendre le martèlement d'un pic noir sur un pin… Pour exprimer les émotions, Anni Kytömäki utilise les éléments, les matières. Ainsi, une rencontre amoureuse d'Erik à Helsinki : « Des pulsations caverneuses me parviennent, grondement de lointains rapides ou cognement de tuyaux. À moins que ce ne soit mon coeur, de nouveau. Puis l'eau se tait. La forêt bruisse doucement. Une fée écrase des branches de sapin et s'approche sur la pointe des pieds ».

L'écriture est simple tout en étant très riche et précise en vocabulaire ayant trait à la nature. Un oiseau n'est jamais un oiseau mais un pic, un « rosalin cramoisi », un Rouge-Gorge, une mésange, entre mille autres ; de même chaque plante, chaque arbre sont nommés précieusement, avec exactitude. Chaque oiseau émet son bruit bien précis, il « tintine », il pousse des « trilles » ; les trains taquetaquent, les bourdons vrombissent. La poésie émane non pas de l'écriture mais de ce qu'elle décrit et des sensations qu'elle réussit avec brio à faire émerger. Elle émane aussi des ambiguïtés subtiles qui brouillent le discours par moment où nous devinons juste ce qui est dit. Il en est ainsi lorsque nous comprenons que Lidia est enceinte, lorsque l'homme et l'ours à la gorge d'or ne forme – peut-être – qu'un. Mais soulignons-le, c'est un roman d'aventure nordique et non une aventure de l'écriture, l'écriture restant simple et fluide.

Un livre qui m'a touchée dans le rapport au monde qu'il propose et la liberté qu'il nous engage à avoir. Des beautés fulgurantes claquent par moment tels des éclairs faisant vibrer l'âme…Tels ces gestes d'amour, les derniers, pour sa femme en train de mourir, devenue squelettique. « C'est un paquet d'os, d'os d'une incompréhensible beauté ».

Je vous invite à découvrir le superbe retour de @mesrives qui m'a donné envie de lire ce livre. Elle explique avec subtilité les influences finlandaises et norvégiennes qui résonnent dans ce beau roman scandinave. A noter que ce livre a été nominé pour le prix Finlandia, l'équivalent du prix Goncourt en Finlande, et le prix de littérature du Helsingin Sanomat. Et je comprends pourquoi...


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Six semaines ! Il m'aura fallu six semaines pour apprivoiser ces 635 pages !
Au bout des 130 premières, voilà plus d'un mois, j'ai calé, dubitative. Certains passages sont magnifiques de poésie, de tendresse émerveillée envers les arbres, les oiseaux, la forêt, mais…
Mais cela suffisait-il à me tenir en haleine ? Non, d'autant que des analepses bien inutiles en début d'ouvrage sont venus m'embourber dans ma lecture. Je peinais à m'attacher à l'Erik devenu adolescent et à l'étrange farfadette nommée Lidia.
J'ai abandonné le livre pendant plus d'un mois, achevé une autre lecture peu convaincante, en ai laissé encore en plan une deuxième, avant de finalement décider de ne pas m'avouer vaincue, car j'avais toujours en tête les superbes billets de HordeduContrevent et mesrives.
Je me suis un peu forcée au début, et puis petit à petit, les personnages ont tourné leur visage vers moi et m'ont enfin souri. Alors, le coeur battant, je les ais suivis et mes pas ont fait craquer à leur suite la fine couche de givre qui recouvrait les aiguilles de pin de la forêt finlandaise. J'ai fouillé dans les anfractuosités d'une vieille stèle à la recherche d'un trésor, j'ai regardé la brume s'étirer entre les branches des sapins.
Subrepticement, je suis tombée sous le charme. La seconde partie du roman, centrée sur la fille d'Erik, Malla, a achevé de me convaincre. J'ai chaussé mes bottes pour éviter de m'enfoncer dans les tourbières, cueillir avec elle des myrtilles sauvages, observer de fraîches traces de pattes d'ours dans la neige et découvrir les merveilles et mythes de la forêt, un ours qui devient homme pour redevenir ours.
S'il faut du temps au récit pour prendre son envol, une fois sur ses ailes, j'ai plané, profitant de la puissance des courants pour observer la nature finlandaise en majesté, personnage central du livre.
Je suis admirative du formidable travail de traduction opéré par Anne Colin du Terrail tant sa plume coule et parsème le récit de trouvailles glanées de-ci de-là, comme le mot mazot issu du langage montagnard.
J'ai fini le livre à regret, j'aurais aimé poursuivre encore le cheminement aux côtés d'Erik, Lidia, Hanna, Malla et Joel. Leurs fantômes m'accompagneront longtemps lors de mes futures balades en forêt.
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‌Comment refermer ce livre sans un mot ?!
Tout y est de qualité, son atmosphère subtile, son écriture à l' acoustique raffinée.
Malgré le contexte, les années 1900-1920 , ce n'est pas le bruit des bombes qui donne le ton mais le kaléidoscope musical de la nature. Les pages bruissent en continu, du craquement de la glace au glouglou libérateur du dégel, de la mésange laponne qui zinzinule au son du vent dans tous ses états, brise légère jouant avec le rideau jusqu'au souffle polyphonique qui fait de la forêt cet orchestre mouvant .

L'histoire se passe en Finlande dans un monde où les vaches sont encore en liberté et où ce sont les champs qui sont clôturés. La nature est l'humus de ces pages, les arbres y tiennent le casting, frissonnant sous le pas d'un ours et de sa discrète majesté.

Fils unique d'un riche commerçant, Erik grandit isolé dans une bulle de richesse qu'il mettra des années à crever pour parvenir à atteindre les autres.
Étranger à son père pour qui la forêt est matière monnayable , Erik y voit la forme primitive de la vie, héritier des yeux de sa mère. Cette mère partie très tôt , non sans lui transmettre sa soif de mondes imaginaires, avant de sombrer dans les vapeurs de l'alcool, terrassée par le réalisme plantigrade de son mari et un besoin d'indépendance inassouvi.
Les contes aux formes changeantes dont elle nourrissait Erik restent imprimés en lui. Et ce voyage sur les 7 mers du monde !


Ce livre est envoûtant parce qu'il dessine avec une pointe très fine l'énergie psychique de chacun des personnages. Leur personnalité immédiatement familière nous met à la peine de les quitter. (J'ai d'ailleurs lu ce livre une 2e fois pour le plaisir de se glisser sous sa couverture moelleuse et dans les grands bras des arbres. Et dans quel autre aurais-je pu lire :" Je déborde de joie ornithologique" ! ).
Les conflits intérieurs d'Erik transparaissent par exemple avec subtilité, entre son conditionnement à la docilité et sa résistance passive puis active pour préserver sa dignité essentielle.

Sans surprise, c'est avec le même talent que l'auteur restitue à la perfection l'ambiguïté de chacun, l'odieux se mélangeant naturellement au merveilleux.
Nous lisons avec une attention particulière de peur de manquer un sourire léger, un geste esquissé, la silhouette furtive d'un oiseau sur le lac, un amour définitif déjà enfui .
Le fait que les deux personnages principaux, Erik, puis sa fille Malla, aient tous les deux grandis sans mère, poussent inexorablement à l'adoption d'impulsion, ils nous sont très chers sans qu'on ait vu le coup venir, pas très joli-joli ça , Anni , de nous déchirer les tripes d'un ongle nonchalant de T-Rex !
Merci aux critiques précédentes qui m'ont donné envie de lire ce livre merveilleux, que je vous recommande à mon tour.
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C'est un livre qui se lit avec lenteur, qui m'a obligée à ralentir pour goûter pleinement toutes les sensations qui s'élèvent des pages de ce texte naturaliste et enchanteur. Il est pour tous ceux qui contournent prudemment un beau tapis de mousses afin de ne pas l'abîmer, pour ceux qui guettent au printemps les premiers chants du coucou ou l'éclosion des primevères officinales - coucous elles aussi - dans les fossés et les prés.

Ce roman sensoriel, organique presque, nous fait remonter le temps jusqu'au début du 20ème siècle pour découvrir le destin des Stenfors mêlés malgré eux aux épisodes douloureux de l'histoire finlandaise quand la guerre civile de Finlande en 1918 opposait les Gardes Rouges soutenus par les bolcheviques à la Garde Blanche soutenue par les allemands.

Au début, le récit balbutie avec effort, puis très vite prend son envol, se libère et nous entraîne avec force dans la forêt finlandaise, exploitée ou intouchée, mais toujours habitée, animée par une faune et une flore qu'Anni Kytömäki nous décrit simplement et joliment. Les mots coulent comme les ruisseaux babillants qui sillonnent cette forêt, vivante, humide, respirante, dans laquelle se fondent et s'incarnent les histoires familiales d'Erik Stenfors et de sa fille Malla. Leurs vies sont heurtées de plein fouet par les conséquences des révoltes de 1917 et de la guerre civile qui s'ensuivit, par la famine et la tuberculose, par la perte et le deuil. C'est un pan d'histoire que je ne connaissais pas et que la romancière évoque sobrement, insistant davantage sur les terribles cicatrices laissées par cette guerre qui, outre les victimes directes du conflit, laissa des milliers d'orphelins.

Mais les moustiques zonzonnent, les alouettes grisollent, les mésanges tintinnulent... Sous la plume d'Anni Kytömäki, les mots chantent et nous charment par leur infinie poésie. J'ai été éblouie par la traduction d'Anne Colin du Terrail qui explique que le français est une langue moins souple que le finnois et qu'elle a dû parfois "tordre le cou au français pour obtenir un rendu plus vivant". Elle a aussi cherché dans le vocabulaire québécois ou savoyard des mots comme airial ou mazot pour transcrire les lieux et habitats finlandais. le dictionnaire vient à mon aide pour mieux les ressentir et les comprendre, je me fais botaniste pour cueillir les aegopodes et les lédons, ornithologue pour admirer le phragmite des joncs et la chouette de l'Oural.

Ondins, fées des bois, femmes devenues mésangeais ou étourneaux, hommes devenus ours, la romancière convoque les esprits de la forêt pour conjurer les drames. Elle sème des repères dans la nature et le temps, qui, telles des bouées de sauvetage viendront ultérieurement secourir Erik et Malla. C'est un roman magnifique, inspiré et bouleversant, tout en émotions contenues qui s'énoncent à mi-voix avec une pudeur typiquement finlandaise. La nature, les éléments et les ressentis d'Erik et Malla s'imbriquent étroitement, les uns personnifiés, les autres identifiés. de la brume roule sur les joues d'Erik, des feuilles de tremble palpitent dans sa poitrine...

Cela fait déjà trois jours que j'ai refermé ce livre et je suis incapable de commencer une nouvelle lecture... L'esprit embrumé de cette forêt au pouvoir hypnotique j'y reste captive. Je rouvre les pages pour m'enfoncer à nouveau dans les sphaignes des tourbières et musarder sous les pins en respirant l'entêtant parfum des lédons...

Challenge multi-défis 2023
Challenge plumes féminines 2023
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Au milieu de la pelouse encore terne se dressent de vieux érables, des chênes rugueux et des bouleaux à l'écorce craquelée. Dans un coin du jardin, un pommier mort gît au sol.

Harmajakari pense qu'il est bon pour les patients de voir toutes sortes d'arbres, dit papa. Des jeunes, des vieux, des sains, des malades.

Je regarde ces arbres semblables aux gens d'ici, le tronc percé de trous et l'écorce déchirée, rongés par les chancres et les polypores. Des êtres muets, repliés sur eux-mêmes, dans le seul lieu où ils aient leur place.

Quand je me suis promené dans ce jardin pour la première fois, je m'y suis senti en sécurité, poursuit papa. Ces arbres ont vécu bien plus de choses que n'importe quel humain. Au rez-de-chaussée, on débarrasse la table, le temps file. Papa ne remarque rien.

Juvonen a demandé un jour à Harmajakari s'il ne fallait pas abattre les arbres en mauvais état. Il lui a répondu qu'ici on n'exerçait de violence envers aucun être en mauvais état.

Harmajakari, au sourire si rare, qui cultive des roses et des arbres pourris. (P.623)
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J’aurais préféré partir seul et couper tout de suite tout lien avec le monde. Deux cent kilomètres, c’est une longue distance à parcourir avec des cochers, à supporter leurs quintes de toux, leurs tentatives de conversation et leurs silences. Je serais bien parti pour Kaltio à bicyclette si Uggelvik n’avait pas jugé l’idée totalement insensée.
« On ne joue pas avec l’hiver, quoi qu’il se soit passé chez vous », a-t-il déclaré.
C’est pourquoi je sais que j’ai l’air de ce que je suis : un fuyard pour qui presque plus rien n’a plus d’importance.
Au chaud sous la couverture du traîneau, je regarde le paysage recouvert de neige jusqu’à hauteur de cheville. Finis les fermes prospères, les champs et les lisières de forêt grignotées par les bûcherons. D’immenses espaces s’étendent derrière les arbres. Je les ai d’abord pris pour des cultures, mais il y pousse des pins rabougris et des arbrisseaux recroquevillés dans le froid. Au printemps, quand les canards, les grues cendrées et les pluviers reviendront, elles résonneront de l’incommensurable registre du désir de vivre. Je ne supporterais pas non plus, alors, de me trouver là.
Nous faisons halte, et le silence me bouche les oreilles. L’air écrasé par les nuages de neige avale les sons, j’ai du mal à entendre les rares paroles du cocher, bien que nous soyons assis face à face. Je pense plusieurs fois être devenu sourd, jusqu’à ce qu’il se racle la gorge ou que des étincelles jaillissent du feu de camp. J’avale à grandes gorgées l’amer café bouilli. Aurais-je le temps de faire la sieste ? Mais le cocher se lève bientôt, rince sa tasse dans la neige et va vérifier le harnais du cheval. Les partis métalliques cliquettent.
« Regardez », dit-il.
Je termine mon café et obéis à l’injonction. Une souche grise se dresse dans la tourbière.
« Il y a un étang, là-bas. Poissonneux. »
Afin de secouer ma torpeur, je vais voir. Le gel a solidifié la tourbière, mais l’eau qui sort des mousses colore de noir l’empreinte de mes pas. Je m’arrête devant la souche. Derrière s’étend en effet un petit lac, un ovale où la neige est moins haute qu’alentour. La pointe du vieil arbre mort brisé à hauteur de poitrine a été sculptée en forme de nageoire. La surface est craquelée de rides verticales. Le bois est chaud et glissant.
Je retourne au traîneau où le cocher a déjà pris sa place. Je hoche le menton en direction du lac.
« Vous pouvez m’en dire plus ? »
Je me frotte les mains. Le bois y a laissé des traces huileuses.
« Non, je suis du village.
- Ce ne sont pas les habitants qui l’ont sculpté ?
- Ce n’est pas dans nos habitudes. Ce sont des Lapons.
- Le bois était bizarre, gras.
- Quelqu’un le nourrit s’en doute encore. C’est du saindoux, je pense, ils ont coutume de l’enduire. »
Je m’installe sous la couverture. Le cocher ordonne au cheval de se mettre en route. Les contours de son dos disparaissent peu à peu dans le crépuscule.
« Ca se dégage, constate-t-il par dessus son épaule. On arrivera avant la nuit à Sodankylä. »
Les nuages se déchirent et l’air fraîchit. Je tire ma chapka sur les oreilles. Une à une, les étoiles les plus hautes apparaissent, soleils sûrement déjà éteints, nous éclairant d’une lumière qui n’existe plus.
Je souffle sur mes moufles et gratte la glace de mes sourcils. Les patins du traîneau crissent, preuve que nous touchons encore terre. Le cosmos est clair et profond, paré d’argent et du vert d’une aurore boréale. Nous y flottons. Le monde entier flotte. La sculpture de bois se dresse dans les tourbières parce qu’il faut pouvoir s’appuyer sur quelque chose face à l’infini du ciel.
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Je perçois jusque sur ma langue la puissante odeur des lédons. La forêt guette les trilles du premier rouge-gorge. Il fait froid, plus froid qu’au cœur de la nuit, le monde se fige pour voir si le soleil se lèvera ou pas. Planté à côté du pin mort de la tourbière, je tente de sortir de mon immobilité. Les souvenirs me montent aux yeux, coulent en larmes. Surgissent soudain la touffeur d'une chaude journée d'été, mes pieds dans le chargement de sable d'un tombereau, la main de père qui m'ébouriffe les cheveux, les bras solides qui déposent par terre l’Erik de sept ans. Comment s'appelait cet homme ? Comment a-t-il pu aller si loin dans l'obscurité ? s'interrogeaient les boquillons autour du feu de camp. Je m'installe entre eux et, ensemble, nous attendons la réponse du chamane. Les yeux de Juhana reflètent les flammes qui ont enflé en un puissant brasier, protection illusoire contre les yeux écarquillés de la forêt.
« Ne jetez jamais un seul regard à une fée des bois. Et ne partez jamais à sa poursuite. Vous ne reviendriez pas. »
Ma nuque palpite. Un premier souffle de vent caresse la forêt, un tremble murmure quelque part entre les sapins. Quelques feuilles tombent sur le sol mouillé de neige fondue. Des pas légers font crisser le givre des mousses, une main écarte les branches. Je m'étire et me force à me retourner.
(p. 113)
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Un coup de tonnerre claque, brutal, tout près. Elle se jette à terre et se recroqueville pour endiguer la douleur - qui ne vient pas. L'air irrigue ses poumons, ses jambes lui obéissent, la foudre est finalement tombée plus loin. Elle se relève, se fraie un chemin à travers les broussailles de la rive. Sur le grand lac flotte le reflet du soleil couchant. Elle entre dans l'onde et nage.
Le tonnerre gronde à nouveau. Elle plonge presque entièrement la tête sous l'eau et aborde une première île par son côté noyé dans l'ombre. Sur les rives les plus proches, ses poursuivants s'interpellent. La foudre se déchaine dans le ciel sans nuages. Elle s'aplatit dans les mousses.
Un instant plus tard, les flots clapotent. Dans la pénombre, elle distingue un canard qui se débat près du bord. Le soleil a disparu, l'orage s'est apaisé. Elle se risque à s'en approcher. Il est gravement blessé et tente, à l'agonie, de gagner la terre ferme.
A la vue du canard à l'aile brisée, elle comprend qu'elle leur a elle-même échappé. Pour le moment.
Presque avec tendresse, elle le sort de l'eau. Il vit ses derniers instants sur une pierre plate et la le temps de voir quelques étoiles avant qu'elle ne lui donne le coup de grâce.
(Incipit)
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Le sentier court sur les crêtes, plonge entre les sapins cassés par l'hiver des vallons, remonte vers des pins contournés. Par moments, le monde s'ouvre à gauche, sur le lac qui tente de paraître plus vaste que la mer et, derrière, la taïga bleutée. Les forêts lointaines sont toujours bleues, même les arbres à peine vieux de dix ans repeuplant les essarts ont la même teinte que les profondes forêts intouchées. Les faibles yeux humains pardonnent beaucoup.
Enfin le sentier dévale avec détermination la pente. Les sapins drapés d'usnée portent le ciel sur leurs épaules et adoucissent la lumière qui filtre sur nous. Dans l'épais sous-bois brillent des myrtilles presque mûres. Nous nous hâtons, chassant à grands gestes les moustiques. La forêt respire l'humidité, le sentier est par endroits aussi boueux qu'au printemps. Une clarine tinte au loin.
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