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4.39/5 (sur 26 notes)

Nationalité : Finlande
Né(e) à : Ylöjärvi , 1980
Biographie :

Anni Kytömäki est une auteure finlandaise.

Elle est la sœur du poète Pekka Kytömäki (1975). Elle a d’abord suivi une formation d’arpenteur-géomètre.

"Gorge d’or ("Kultarinta", 2014), son premier roman, a été nominé pour le prix Finlandia, l’équivalent du prix Goncourt en Finlande, et le prix de littérature du Helsingin Sanomat.

Il a été récompensé par le prix Kaarle de Gummerus 2015 et le prix Tulenkantaja 2015 - attribué au roman finlandais "ayant le plus de potentiel pour réussir à l’étranger". 

son site : https://www.annikytomaki.fi/

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Bibliographie de Anni Kytömäki   (1)Voir plus

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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
J’aurais préféré partir seul et couper tout de suite tout lien avec le monde. Deux cent kilomètres, c’est une longue distance à parcourir avec des cochers, à supporter leurs quintes de toux, leurs tentatives de conversation et leurs silences. Je serais bien parti pour Kaltio à bicyclette si Uggelvik n’avait pas jugé l’idée totalement insensée.
« On ne joue pas avec l’hiver, quoi qu’il se soit passé chez vous », a-t-il déclaré.
C’est pourquoi je sais que j’ai l’air de ce que je suis : un fuyard pour qui presque plus rien n’a plus d’importance.
Au chaud sous la couverture du traîneau, je regarde le paysage recouvert de neige jusqu’à hauteur de cheville. Finis les fermes prospères, les champs et les lisières de forêt grignotées par les bûcherons. D’immenses espaces s’étendent derrière les arbres. Je les ai d’abord pris pour des cultures, mais il y pousse des pins rabougris et des arbrisseaux recroquevillés dans le froid. Au printemps, quand les canards, les grues cendrées et les pluviers reviendront, elles résonneront de l’incommensurable registre du désir de vivre. Je ne supporterais pas non plus, alors, de me trouver là.
Nous faisons halte, et le silence me bouche les oreilles. L’air écrasé par les nuages de neige avale les sons, j’ai du mal à entendre les rares paroles du cocher, bien que nous soyons assis face à face. Je pense plusieurs fois être devenu sourd, jusqu’à ce qu’il se racle la gorge ou que des étincelles jaillissent du feu de camp. J’avale à grandes gorgées l’amer café bouilli. Aurais-je le temps de faire la sieste ? Mais le cocher se lève bientôt, rince sa tasse dans la neige et va vérifier le harnais du cheval. Les partis métalliques cliquettent.
« Regardez », dit-il.
Je termine mon café et obéis à l’injonction. Une souche grise se dresse dans la tourbière.
« Il y a un étang, là-bas. Poissonneux. »
Afin de secouer ma torpeur, je vais voir. Le gel a solidifié la tourbière, mais l’eau qui sort des mousses colore de noir l’empreinte de mes pas. Je m’arrête devant la souche. Derrière s’étend en effet un petit lac, un ovale où la neige est moins haute qu’alentour. La pointe du vieil arbre mort brisé à hauteur de poitrine a été sculptée en forme de nageoire. La surface est craquelée de rides verticales. Le bois est chaud et glissant.
Je retourne au traîneau où le cocher a déjà pris sa place. Je hoche le menton en direction du lac.
« Vous pouvez m’en dire plus ? »
Je me frotte les mains. Le bois y a laissé des traces huileuses.
« Non, je suis du village.
- Ce ne sont pas les habitants qui l’ont sculpté ?
- Ce n’est pas dans nos habitudes. Ce sont des Lapons.
- Le bois était bizarre, gras.
- Quelqu’un le nourrit s’en doute encore. C’est du saindoux, je pense, ils ont coutume de l’enduire. »
Je m’installe sous la couverture. Le cocher ordonne au cheval de se mettre en route. Les contours de son dos disparaissent peu à peu dans le crépuscule.
« Ca se dégage, constate-t-il par dessus son épaule. On arrivera avant la nuit à Sodankylä. »
Les nuages se déchirent et l’air fraîchit. Je tire ma chapka sur les oreilles. Une à une, les étoiles les plus hautes apparaissent, soleils sûrement déjà éteints, nous éclairant d’une lumière qui n’existe plus.
Je souffle sur mes moufles et gratte la glace de mes sourcils. Les patins du traîneau crissent, preuve que nous touchons encore terre. Le cosmos est clair et profond, paré d’argent et du vert d’une aurore boréale. Nous y flottons. Le monde entier flotte. La sculpture de bois se dresse dans les tourbières parce qu’il faut pouvoir s’appuyer sur quelque chose face à l’infini du ciel.
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Il n'y a rien de plus clément qu'une pluie nocturne. A travers la brume du sommeil, elle m'ordonne de m'enrouler plus serré dans ma couverture, telle une larve dans son cocon. Ma métamorphose ne presse pas.
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Le sentier court sur les crêtes, plonge entre les sapins cassés par l'hiver des vallons, remonte vers des pins contournés. Par moments, le monde s'ouvre à gauche, sur le lac qui tente de paraître plus vaste que la mer et, derrière, la taïga bleutée. Les forêts lointaines sont toujours bleues, même les arbres à peine vieux de dix ans repeuplant les essarts ont la même teinte que les profondes forêts intouchées. Les faibles yeux humains pardonnent beaucoup.
Enfin le sentier dévale avec détermination la pente. Les sapins drapés d'usnée portent le ciel sur leurs épaules et adoucissent la lumière qui filtre sur nous. Dans l'épais sous-bois brillent des myrtilles presque mûres. Nous nous hâtons, chassant à grands gestes les moustiques. La forêt respire l'humidité, le sentier est par endroits aussi boueux qu'au printemps. Une clarine tinte au loin.
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Les nuages se déchirent et l'air fraichit. Je tire ma chapka sur mes oreilles. Une à une, les étoiles les plus hautes apparaissent, soleils sûrement déjà éteints, nous éclairant d'une lumière qui n'existe plus.
Je souffle sur mes moufles et gratte la glace de mes sourcils. Les patins du traineau crissent, preuve que nous touchons encore terre. Le cosmos est clair et profond, paré d'argent et du vert d'une aurore boréale. Nous y flottons. Le monde entier flotte. La sculpture de bois se dresse dans la tourbière parce qu'il faut pouvoir s'appuyer sur quelque chose face à l'infini du ciel.
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Ses cheveux couleur de sentier tapissé d'aiguilles de pin lui couvrent le dos telle une fine toile d'araignée. La mer s'est débarrassée de ses glaces la semaine passée. Le paysage est encore nu, mais le soleil chauffe l'air vaporeux.
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Au milieu de la pelouse encore terne se dressent de vieux érables, des chênes rugueux et des bouleaux à l'écorce craquelée. Dans un coin du jardin, un pommier mort gît au sol.

Harmajakari pense qu'il est bon pour les patients de voir toutes sortes d'arbres, dit papa. Des jeunes, des vieux, des sains, des malades.

Je regarde ces arbres semblables aux gens d'ici, le tronc percé de trous et l'écorce déchirée, rongés par les chancres et les polypores. Des êtres muets, repliés sur eux-mêmes, dans le seul lieu où ils aient leur place.

Quand je me suis promené dans ce jardin pour la première fois, je m'y suis senti en sécurité, poursuit papa. Ces arbres ont vécu bien plus de choses que n'importe quel humain. Au rez-de-chaussée, on débarrasse la table, le temps file. Papa ne remarque rien.

Juvonen a demandé un jour à Harmajakari s'il ne fallait pas abattre les arbres en mauvais état. Il lui a répondu qu'ici on n'exerçait de violence envers aucun être en mauvais état.

Harmajakari, au sourire si rare, qui cultive des roses et des arbres pourris. (P.623)
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Un coup de tonnerre claque, brutal, tout près. Elle se jette à terre et se recroqueville pour endiguer la douleur - qui ne vient pas. L'air irrigue ses poumons, ses jambes lui obéissent, la foudre est finalement tombée plus loin. Elle se relève, se fraie un chemin à travers les broussailles de la rive. Sur le grand lac flotte le reflet du soleil couchant. Elle entre dans l'onde et nage.
Le tonnerre gronde à nouveau. Elle plonge presque entièrement la tête sous l'eau et aborde une première île par son côté noyé dans l'ombre. Sur les rives les plus proches, ses poursuivants s'interpellent. La foudre se déchaine dans le ciel sans nuages. Elle s'aplatit dans les mousses.
Un instant plus tard, les flots clapotent. Dans la pénombre, elle distingue un canard qui se débat près du bord. Le soleil a disparu, l'orage s'est apaisé. Elle se risque à s'en approcher. Il est gravement blessé et tente, à l'agonie, de gagner la terre ferme.
A la vue du canard à l'aile brisée, elle comprend qu'elle leur a elle-même échappé. Pour le moment.
Presque avec tendresse, elle le sort de l'eau. Il vit ses derniers instants sur une pierre plate et la le temps de voir quelques étoiles avant qu'elle ne lui donne le coup de grâce.
(Incipit)
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Je perçois jusque sur ma langue la puissante odeur des lédons. La forêt guette les trilles du premier rouge-gorge. Il fait froid, plus froid qu’au cœur de la nuit, le monde se fige pour voir si le soleil se lèvera ou pas. Planté à côté du pin mort de la tourbière, je tente de sortir de mon immobilité. Les souvenirs me montent aux yeux, coulent en larmes. Surgissent soudain la touffeur d'une chaude journée d'été, mes pieds dans le chargement de sable d'un tombereau, la main de père qui m'ébouriffe les cheveux, les bras solides qui déposent par terre l’Erik de sept ans. Comment s'appelait cet homme ? Comment a-t-il pu aller si loin dans l'obscurité ? s'interrogeaient les boquillons autour du feu de camp. Je m'installe entre eux et, ensemble, nous attendons la réponse du chamane. Les yeux de Juhana reflètent les flammes qui ont enflé en un puissant brasier, protection illusoire contre les yeux écarquillés de la forêt.
« Ne jetez jamais un seul regard à une fée des bois. Et ne partez jamais à sa poursuite. Vous ne reviendriez pas. »
Ma nuque palpite. Un premier souffle de vent caresse la forêt, un tremble murmure quelque part entre les sapins. Quelques feuilles tombent sur le sol mouillé de neige fondue. Des pas légers font crisser le givre des mousses, une main écarte les branches. Je m'étire et me force à me retourner.
(p. 113)
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J'entends derrière moi le doux gazouillis d'un rouge-gorge. Bientôt d'autres chants s'allument. Je les ai tous déjà entendus. Je presse mes mains sur mes yeux et tente de me rappeler le nom de chaque oiseau, mais décide ensuite que cela n'a pour l'instant aucune importance. On se rappelle plus longtemps les sons que les mots. La forêt se rapproche en chantant. Ils sont tous les deux là, papa et Verner Linnas. Papa s'attarde un peu, il compte les couples d'oiseaux. Ça va ? me lance-t-il tout bas, et je prétends que oui - j'ai maintenant des bottes avec lesquelles je peux franchir tous les bourbiers, ne t'inquiète pas.
(p.473)
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Le pan de ciel de la fenêtre s'ouvre sur le cosmos, des aurores boréales dansent au-dessus de la capitale écrasée de chaleur. Les mouettes se muent en harfangs des neiges et la façade de l'immeuble d'en face en une paroi rocheuse d’où un gerfaut, perché sur une corniche, scrute le monde d'un œil farouche. Le triste bouleau de la cour se pare d'un robuste tronc tortueux toisonné de lichen. Quand le moineau qui patrouille à son pied sautille, les ombres dessinent une tâche de couleur à la base de son cou et, dans son envol vers la cime de l'arbre, le transforment en gorge-bleue. Le gel tapi dans les profondeurs du vent d'été me transperce les tempes, fait périr de froid ma migraine et s'attaque au lancinant passé. J'écoute père sans que le fiacre noir au bas du perron d'Aspholm et la pierre tombale à côté de l'église obstruent la ligne du téléphone. Il parle d'une voix normale et familière. Et dit que tout va s'arranger.
(p.147)
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