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Critique de Fabinou7


Laborieux Laborit ?

Le neurobiologiste, à qui l'on doit en France l'introduction des neuroleptiques, égérie du film “Mon Oncle d'Amérique” vulgarisant ses découvertes avec de petits rats de laboratoire, n'a cessé de lier science, philosophie, politique et tant d'autres choses, au point même d'animer un séminaire sur l'urbanisme.

Dans Eloge de la Fuite, Henri Laborit expose sa vision du monde et de l'homme : dans des chapitres aux titres courts et essentiels comme “L'amitié”, “le temps”, “l'amour”, “la mort”, “la politique” ou encore “le travail”.

“Je souffre, et je cherche à me fuir” confessait le jeune Werther de Goethe. Laborit observe ses semblables, et en conclut que face aux évènements nous n'avons comme alternative que la lutte, le combat qui ne peut se solder que par la domination des uns sur les autres (d'ailleurs pour Laborit notre Histoire entière n'est que l'histoire de la dominance de l'homme sur l'homme). Laborit douche également les espoirs des révolutionnaires et autres anti-conformistes autoproclamés qui ne font qu'épouser un conformisme alternatif, construit en miroir de ce qu'ils dénoncent et reproduisant les mêmes échelles hiérarchiques de dominance et dès qu'il gagne sur un plan politique oublie les idéaux premiers qui l'avaient fait naître.

Si ce n'est pas la lutte alors c'est l'inhibition de l'action, mais contrairement à l'agressivité défensive, la rébellion, qui n'entrainent pas de problèmes psychosomatiques les paramètres vitaux restants stables, le repli sur soi lui engendre les maladies psychiatriques, stress, anxiété, dépression, maladies auto-immunes et chroniques, qui peuvent toucher tous nos organes (système immunitaire, estomac, cerveau, épiderme etc) et conduire à une violence envers soi-même, parfois irrémédiable.

Seule alternative ? La fuite. Mais dans le monde moderne, notamment celui du travail où la précarité menace et où le lien de subordination juridique va de pair avec a dépendance socio-économique on ne peut pas lutter contre son patron et on ne peut davantage fuir à sa guise du moins pas toujours et pas tout de suite... Alors où fuir ? dans l'imaginaire, avec ou sans drogues (rappelons que Laborit est à l'origine de la synthétisation médicale du GHB…), la fuite est aussi l'origine de l'art, de la créativité et elle permet de modéliser un monde débarrassé de prémisses contingents que l'on veut nous faire croire naturels et nécessaires.

En fuyant on réinvente, on réenchante, on recréé d'où le lien entre la science, la médecine et la politique. L'apport du scientifique sur les phénomènes de domination c'est encore l'analyse des stimulations neuronales induites par la gratification, que l'on veut pérenniser, que provoque la jouissance des objets et des êtres, ainsi la domination, l'appropriation d'un territoire et le sentiment de propriété que l'on peut ressentir vis à vis d'autrui viennent d'un déterminisme du à notre constitution psychique, dans notre cerveau reptilien, se dessine aussi une vision démystificatrice de “l'amour” notamment.

Démystifiée également sa vision libertaire de la société et du travail: la clé de la dominance est mise à nue : c'est la détention de l'information professionnelle, plus cette dernière est abstraite plus l'individu, le travailleur, grimpe dans l'échelle sociale : “quel que soit le type d'idéologie, toutes admettent que l'homme représente d'abord un moyen de production puisque toutes établissent leurs échelles hiérarchiques sur le degré d'abstraction atteint dans l'information professionnelle.”

Laborit participa à plusieurs reprises à des émissions sur Radio Libertaire mais n'aimait pas l'étiquette disqualifiante a priori “d'anarchiste”. Néanmoins indéniablement sa réflexion plurielle aide à comprendre ce qui est à l'oeuvre dans la domination que combat cette idéologie, et qu'il faut, selon la philosophe Catherine Malabou, distinguer du pouvoir, le pouvoir étant quelque part l'énergie vitale qui nous permet d'agir sur notre environnement mais d'abord de nous maintenir en vie, de la domination/oppression sur autrui.

Une balade exigeante, aussi séduisante que déconcertante, loin des idées pré-conçues, à relire pour sans doute arriver à s'imprégner plus amplement de la pensée complexe d'un intellectuel très singulier.

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