Citations sur Chemin faisant (suivi de) la mémoire des routes (10)
….Effleurer les digitales retrouvées. J'aime la belle couleur de leur corolle, leur taille élancée, leur campanile pourpre, en forme de doigt de gant, et cette tige pubescente, autrement dit couverte de poils fins. Je me penche vers la corolle séductrice, appât de mort, constellée d'étoiles d'or en ses profondeurs utérines. On se croirait au cœur d'une chapelle où bourdonne déjà le tocsin des insectes.
Souvent, il m'arrivait le soir, au cours des premiers jours de cette longue marche, de contempler mes pieds avec étonnement : c'est avec ça, me disais-je, que nous marchons depuis l'aube des temps hominiens et que nous arpentons la terre.
En cas de peine ou de misère, allez trouver la boulangère.
Il m'emmène à l'écart du hameau dans un chalet inoccupé qui appartient au Club vosgien. Je vais dormir dans une vraie maison. Devant la porte, un gros tronc à peine équarri, de ceux qu'on appelait - tronces - autrefois.
Je m'assieds et regarde la lune, entourée d'un immense halo de lumière, une lune de chasse fantastique et de chasseur fantôme. J'ai brusquement l'impression d'être chez moi, en un lieu familier, au seuil de cette maison vide, avec la foret toute proche et la lune amicale.
En sera-t-il ainsi jusqu'au Corbières ?
Ce qu'on ne soupçonne guère, lorsqu'on marche ainsi tout au long d'un itinéraire de fortune, c'est qu'on suit rarement jusqu'au bout le chemin élu parmi d'autres.
Je ne suis qu'un piéton, rien de plus.
Pour lui la foret est un grand troupeau d'arbres qu'ils faut surveiller, assainir, trier, planter, abattre, élaguer, éclaircir, un troupeau immobile dont il ne connait toutes les têtes, jeunes, vieilles, saines et malsaines.
Quelques jours plus tôt il a fallu abattre un vieux sapin - plus de deux cents ans, me dit-il- car il menaçait de s'écrouler.
De nouveau dans la foret - sapins, épicéas. Foret plus vivante, plus riche que celle d'hier. Sous les arbres et les frondaisons, au milieu des fougères et des mures et plus loin aussi des myrtilles dont je me gaverai au cours des jours suivant au point d'avoir les mains et la bouche barbouillées de leur encre violette écolier plus que jamais buissonnier, bruissent et bourdonnent des milliers d'insectes.
Mes jambes ont oublié leurs courbatures. Je n'ai pas d'itinéraire très précis : le prochain port sera Abrescwiller, si je ne me perds pas en route.
J'ai choisi au hasard, sur la carte d'état-major, un chemin tourmenté, tortueux, mais qui croise des maisons forestières. Je pourrais y trouver de l'eau, y rencontrer des gardes, demander mon chemin.
Des qu'un chois, un regard personnels transparaissent à travers l'écriture, chaque lecteur voudrait que ce choix , ce regard fussent aussi les siens, comme si l'on écrivait pour lui et pour lui seul.
Au pieds, les inusables Pataugas, mes plus fidèles compagnons, qui, au terme de ces mille kilomètres, n'accusèrent qu'une usure raisonnable : deux trous nets et ronds à l'endroit de la plante et quelques déchirures de la toile, dues aux ronces.