L'idée de traverser la campagne française à pied, tel un pèlerin de jadis poussé par de pieux motifs, nous est devenue depuis une vingtaine d'années presque familière. Nous connaissons tous de ces marcheurs qui avalent les kilomètres sur des sentiers qui les mènent au loin, vers un mystérieux "Nulpart-sur-ciel". Un de ces voyageurs qui déclarent "j'ai voulu me retrouver seul, face à moi-même". On se dit que c'est la crise de la quarantaine, que ça peut pas leur faire de mal, que de nos jours, les routes sont sûres et qu'avec un smartphone, on ne peut pas se perdre.
Il existe même des guides de randos, et des magasins où on trouve tous les gadgets pour s'abriter, faire du feu, s'orienter, soigner ses ampoules. le marcheur est devenu un phénomène de société, une aubaine pour le commerce, un écrivain en puissance. le marcheur se réduit souvent à un consommateur parmi d'autres, se livrant comme le campeur ou le randonneur sportif, à une activité qui ne surprend plus personne.
Sauf que....il y a des marcheurs qui gardent le goût de l'imprévu, du hasard comme guide et de la rencontre comme but. Qui préfèrent une grange au bord du chemin à un hôtel anonyme. Qui se sentent vagabonds, ivres d'espace et de l'odeur des champs mouillés, qui se nourrissent de la sève qui coule dans les vieilles forêts, qui se régalent des chants d'oiseaux, d'une voix de berger appelant ses bêtes, qui sont éblouis par la lumière sur la plaine, par du linge qui sèche au vent, qui s'émerveillent de leurs cinq sens.
Ceux-là marchent avec légèreté, oublieux de la marche du monde, mais présents à l'instant et au lieu qu'ils foulent de leurs semelles.
Ceux-là ne seront jamais arrivés à destination, car au bout du chemin, il y un autre horizon.
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Récit de traversée, à pieds, des Vosges jusqu'au Languedoc en 1971. le but n'est pas de faire un exploit sportif mais d'aller à la rencontre des gens. On verra qu'il n'est pas toujours facile d'y trouver un endroit pour dormir et que les désagréments ne sont pas le mal aux pieds, la nourriture, etc. Non ce sont les chiens qui mordent les mollets. Des réflexions en sont faites. A savoir qu'avant ils s'en prenaient aux véhicules à moteur qui étaient rares, alors qu'aujourd'hui la rareté se fait avec les piétons que le chien n'a plus l'habitude de voir. J'ai adoré le début avec la poésie qui s'en dégage, puis j'ai trouvé que le récit s'essoufflait.
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Rien ne me parait plus nécessaire aujourd'hui que de découvrir ou redécouvrir nos paysages et nos villages en prenant le temps de le faire. Savoir retrouver les saisons, les aubes et les crépuscules, l'amitié des animaux et même des insectes, le regard d'un inconnu qui vous reconnait sur le seuil de son rêve. La marche seule permet cela. Cheminer, musarder, s'arrêter où l'on veut, écouter, attendre, observer. Alors, chaque jour est différent du précédent, comme l'est chaque visage, chaque chemin.
Ce livre n'est pas un guide pédestre de la France, mais une invitation au vrai voyage, le journal d'un errant heureux, des Vosges jusqu'aux Corbières, au coeur d'un temps retrouvé. Car marcher, c'est aussi rencontrer d'autres personnes, et réapprendre une autre façon de vivre. C'est découvrir notre histoire sur le grand portulan des chemins. Je ne souhaite rien d'autre, par ce livre, que de redonner le goût des herbes et des sentiers, le besoin de musarder dans l'imprévu, pour retrouver nos racines perdues dans le grand message des horizons.
Demandez à quelqu'un de fermer les yeux et de dire spontanément, sans aucune réflexion, ce qu'évoque pour lui le mot marche. Le plus souvent, il répondra : sentier, soleil, vent, ciel, horizon, espace. Je me suis amusé à cette expérience et j'ai été surpris par ces réponses. Car marche pourrait évoquer aussi bien pluie, tempête, sueur, fatigues, ampoules, cors aux pieds, entorse, chute, enlisement, engloutissement. Mais il semble que ces dernières associations - qui eussent été courantes aux siècles précédents - ne viennent plus à l'esprit aujourd'hui. Comme si le seul mot de marche libérait des rêves inexprimés ou non vécus, des besoins d'espace et d'horizon, et surtout des désirs de liberté, d'imprévu, d'aventure.
Pour les brûlures, le processus est le même sauf que le guérisseur, tout en disant ses vers, souffle deux fois sur la brûlure :
" Grand saint Laurent
Sur un brasier ardent
Tournant et retournant
Vous n'étiez pas souffrant.
Faites-moi la grâce
Que cette ardeur se passe.
Feu de Dieu, perds ta chaleur
Comme Judas perdit sa couleur
Quand il trahit par passion juive
Jésus au jardin de l'Olive."
"Vous voyez comme c'est simple. La douleur s'en va à chaque fois. Moi, je ne guéris pas. C'est Dieu qui guérit. C'est lui qui a fait ces belles choses et toutes les ondes qui nous entourent...."
p268
Je me disais : moi aussi j'aurai mon livre des chemins, mon bréviaire des sentes, mon évangile des herbes et des fleurs, bref ma bible des routes et La Divine Comédie me parut bien convenir. J'avais depuis longtemps envie de la relire. Mais très vite, je finis par oublier le livre, ne plus penser à lui ou y penser comme à un compagnon présent mais de moins en moins essentiel. Dans la journée, j'aimais m'étendre au pied d'un arbre (chêne ou non, séculaire ou non) sans penser à rien d'autre qu'à la forme changeante des nuages, aux bruits lointains signalant une ferme, un hameau, un village. Et le soir - même quand l'atmosphère du café où j'avais pu trouver refuge rappelait le Purgatoire ou l'Enfer de Dante - je préférais rester là, avec les clients quand il y en avait ou seul, à lire le journal local, écouter les bruits et les silences d'un café, ce temps insidieux, anonyme des lieux qui soudain sont désertés de leur cris vivants, leur brouhaha, et leur rumeur humaine comme un rivage dont la mer vient de se retirer. Car même en ces endroits souvent sinistres, je me sentais plus réceptif qu'en allant m'isoler dans ma chambre pour lire un livre que je pourrais toujours retrouver à la fin du voyage. Les livres et les routes demeurent mais les rencontres, les paroles, elles, sont éphémères. Et c'est l'éphémère que je venais chercher dans la pérennité géologique des chemins ou la mouvance des visages. Cet éphémère égrené dans le fil des jours et qui se mue ainsi en petites éternités, à chaque instant recommencées. »
Mais de tous ces viscères aucun jamais ne pourra se décomposer, ne subira les transformations salutaires de la mort. Les voitures mortes ignorent les métamorphoses de la pierre ou du bois et leur métal inerte ne connaît pour destin que cette absurde, cette inutile pérennité.
p121
Bruno Doucey lit un extrait du recueil "grécité", de Yannis Ritsos, reproduit dans notre livre spécial dix ans "Un bateau nommé poésie".
Nous avons publié "grécité" en 2014, en bilingue grec/français, dans la traduction de Jacques Lacarrière.