AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Renatan


« L'Occident devra prêter attention à cette part de spiritualité qui a permis à l'Haïtien de ne pas crever de solitude sur ce caillou entouré d'eau »

Dany Laferrière, 2010


À Montréal, il y a quelques semaines, la Terre a tremblé (deuxième fois en un mois...). À peine... mais suffisamment pour me tirer de mon sommeil et me faire réaliser que nous sommes bien petits. Dany Laferrière, pour sa part, était à Haïti le 12 janvier 2010, et je me demande si ces quelques secousses en terre québécoise ont fait resurgir en lui l'horreur de ces quelques minutes...

J'ai eu la chance de l'entendre au Studio littéraire de la Place des Arts trois mois après le séisme. Et je dois dire que j'ai été frappée par la beauté intérieure de cet homme qui m'a beaucoup émue. Un homme d'une grande humanité, qui m'a semblé porter en son regard une force fragile et en ses mains un courage sans fin. C'est étrange, j'ai eu envie de le serrer dans mes bras, de m'approprier cette énergie du survivant.

Dans « Tout bouge autour de moi », écrit à peine quelques jours après ce 12 janvier, j'ai côtoyé en ses mots une troublante authenticité, un traumatisme à fleur de mots. Dany Laferrière précise, dès les premières lignes, que cet ouvrage n'est pas un livre : « C'est mon intimité mise en mots. D'ailleurs, si j'accepte de m'ouvrir un peu sur cette question, c'est seulement pour que d'autres personnes ne se croient pas seules à ressentir de telles émotions. » Il nous confiera que tout ce qui bouge lui fait peur. Que dès qu'il ferme les yeux, les images affluent dans toute leur horreur. Dès les premières secondes de ce tremblement, il s'est demandé ce qui pouvait bien arriver à son pays qui a déjà tout connu, des dictatures aux coups d'État, des cyclones aux enlèvements... Dany Laferrière en a perdu la notion du temps, jusqu'à des mois suivant ce jour fatidique.

J'aimerais ici retranscrire un passage qui m'a particulièrement touchée : « On s'étonne que ces gens puissent rester si longtemps sous les décombres, sans boire ni manger. C'est qu'ils ont l'habitude de manger peu. Comment peut-on prendre la route en laissant tout derrière soi? C'est qu'ils possèdent si peu de choses. Moins on possède d'objets, plus on est libre... ». N'est-ce pas des paroles à nous faire réfléchir au creux de nos fauteuils douillets, le ventre repu et l'âme en paix? Là-bas, en Haïti, les gens sont dans les rues et chantent pour calmer leur douleur. Ils sont tellement habitués à « chercher la vie dans des conditions difficiles qu'ils porteront l'espérance jusqu'en enfer. »

Le ton de la dernière partie de sa chronique, bien que laissant place à des émotions tout aussi fragiles, est teinté par la révolte. Il se demande à quel point il est possible de pleurer ses morts alors que tant de gens piétinent leur intimité : « le pire n'est pas l'enfilade de malheurs, mais l'absence d'humanité dans l'oeil froid de la caméra. » Il se révoltera également contre le discours culpabilisant de la diaspora. Il craindra le regard prétentieux des occidentaux qui croient tout connaître. Les volontaires qui arrivent en terre haïtienne sans comprendre leur vision du monde et qui s'octroient le droit de s'immiscer dans leurs cérémonies de toutes sortes. Il faut du temps pour s'introduire dans un pays et pouvoir affirmer qu'on en connaît la religion, la langue et la culture... « Celui qui vous aide vous met sa culture sous le nez. Tout cela dit sur un petit ton de fausse humilité, qui est la pire des vanités. Et l'orgueil, c'est de croire que l'autre n'a pas compris la situation. Et qu'il a avalé votre jeu. »

Je suis loin de penser que Dany Laferrière méprise ces gens qui tentent d'aider son pays. Je crois plutôt que lorsqu'on vit un tel drame, on doit se sentir le besoin de s'entourer des personnes qui sont issues de notre culture. Que les « visiteurs » sont des intrus envahissants qui nous font plus de mal que de bien, qui brisent cette intimité que nous proclamons à grands cris dans la solidarité de notre peuple. Nous savons que les gens sont souvent voyeurs et qu'une catastrophe naturelle est le prétexte idéal pour imposer sa présence à une population qui a pourtant besoin de solitude...

Inutile de vous dire à quel point je vous recommande cette merveille...

Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
Commenter  J’apprécie          170



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}