Citations sur Défaire le discours sexiste dans les médias (28)
On attend des victimes qu’elles soient moralement irréprochables, sexuellement peu actives, habillées sobrement, qu’elles ne consomment pas d’alcool ou de stupéfiants, ne s’aventurent pas seules ou tard dans l’espace public et aient un comportement exemplaire au moment de l’exercice de la violence et après, en présence des forces de police, qu’elles ne manqueront pas d’interpeller dans un délai évalué raisonnable, lui aussi.
- si les accusés sont relaxés, l'accusatrice était une menteuse qu'on peut accuser de diffamation ;
- si les accusés ne sont pas encore jugés, l'accusatrice pourrait être une menteuse et il faut la faire taire, elle et ses soutiens, pour respecter un principe de présomption d'innocence dévoyé ;
- si les accusés sont jugés coupables, la présomption d'innocence s'applique jusqu'à ce qu'ils aient épuisés toutes les voies de recours.
si aujourd'hui j'ai décidé de croire systématiquement les victimes rapportant des faits de violence patriarcales, il n'en a pas toujours été ainsi. Parce que, comme tout le monde, j'avais moi-même intériorisé ce que j'appellerais un discours de déni des violences.
Le violeur ce n'est pas soi.
Dans les représentations collectives, c'est un marginal, un "fou", un animal, un monstre laid, une anomalie, qui vient faire effraction dans un monde où le viol n'existe pas. Il est envisagé comme pauvre, racisé, armé et sévissant dans l'espace public. Dans des parkings mal éclairés de préférence. Pourtant, á nouveau, les chiffres démentent ces croyances.
Si la colère des hommes est considérée comme une affirmation de leur savoir et de leur autorité, celle des femmes et des féministes est reléguée au rang d'expression d'un excès, voire d'une "folie", et échappe à la dimension politique pour être maintenue dans le registre de l'outrance.
La tradition médiatique du « crime passionnel » ne date pas d’hier. Dans le langage courant, cette expression désigne un meurtre ou une tentative de meurtre dont le mobile serait la passion, la jalousie ou la déception amoureuses. Cette notion n’existe plus dans le droit français, et pourtant elle perdure dans la rubrique des faits divers depuis le XIXe siècle. Il semblerait que la fiction soit ici plus forte que la réalité.
Des hommes tuent et violent, oui, mais jamais parce qu'ils haïssent les femmes ou qu'ils les considèrent inférieures, comme on le conçoit aisément concernant les crimes de haine homophobes ou racistes. Non, pensez-vous, c'est simplement qu'ils les aiment trop.
Les mots qu'on décide de lancer dans l'espace public à un haut niveau d'influence ne sont jamais laissés au hasard. Il n'y a pas de "dérapage", seulement des calculs et des stratégies qui fabriquent une opinion.
Si les médias généralistes appliquent avec zèle le respect de la présomption d'innocence quand ils évoquent les hommes de pouvoir - il suffirait pourtant d'écrire "accusé" au lieu de "présumé innocent" -, un curieux glissement sémantique s'opère quand les mis en cause viennent de milieux modestes et qu'ils sont traités dans la rubrique des faits divers. De "présumés innocents", ils deviennent soudain "présumés coupables".
Une bonne victime est une victime morte, parce qu’il n’y a pas besoin de la croire.