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Critique de Alzie


C'est un voyage effectué à titre personnel sans escorte militaire contrairement à d'autres artistes de la même époque attirés par l'Orient (au sens large), plus ottoman que libanais, que Nerval entreprend entre 1843 et 1844. Il conditionnait pour lui le recouvrement de sa santé, du moins l'espérait-il, après un séjour de plusieurs mois dans la clinique du docteur Blanche où il avait aussi appris la mort du grand amour de sa vie (l'actrice Jenny Colon/Leplus). Les graves troubles surgis au cours de l'année 1841 qui l'avaient mené chez l'aliéniste sont chroniqués au début du livre de D. Langlois. Son mal mis entre parenthèses voilà Nerval libéré qui embarque à la fin de 1843 à destination d'Alexandrie avec un coéquipier plus fortuné (Joseph de Fonfride). Voyage d'Orient promu par le Romantisme, réservé à quelques privilégiés, souvent fantasmé, testé par d'illustres prédécesseurs (Chateaubriand, Lamartine) et très en vogue au XIXe siècle comme rappelé en cours de lecture par Langlois. L'Orient berceau des grandes religions universelles et divinités chères au coeur De Nerval et pour lui lieu de renaissance symbolique et littéraire. Son orient formé de tous les écrits dont il s'est imprégné est pour part rêvé, il sera largement reconstruit, réinventé par un projet littéraire qui voit le jour huit ans après son retour ce qui constitue sa singularité. Un Voyage d'Orient qui a pris son temps en quelque sorte. Rapport au temps dans la création De Nerval qui suggéré n'est pas le sujet ici. Ce Voyage de Nerval est d'abord la lecture personnelle de Langlois en version poche partagée en style direct et familier prenant trop souvent et de manière trop appuyée la forme d'une apostrophe énervée à l'égard De Nerval.

Lecture effectuée à un moment de sa carrière où lui-même en panne d'inspiration se trouve au Liban cent-cinquante ans après le poète, pays ravagé par quinze ans de guerre et toujours aussi secret que celui visité par Nerval. D. Langlois rapporte dans un premier temps les circonstances, étapes et péripéties colorées qui émaillent le récit nervalien révélant les sources qui guidèrent le poète (ses lectures en particulier, « piratages » selon Langlois), puis s'arrête ensuite sur le retour du voyage et les conditions qui firent naître le livre jusqu'à sa publication en deux temps, longtemps différée, d'abord en feuilleton dans la Revue des deux Mondes puis en volumes après recomposition par Nerval pour l'édition définitive (Charpentier, 1851). L'Egypte, d'Alexandrie au Caire où il séjourne quatre mois avec remontée et descente du Nil, un crochet par Beyrouth et un séjour de trois mois à Constantinople : autant de destinations prometteuses de sensations pour des lecteurs que Nerval fit bien attendre. Il leur offrait par son voyage une vision contemporaine et cosmopolite documentant des villes où il séjournait (Le Caire en particulier), leurs habitants et leurs moeurs et rendait compte d'une mosaïque de territoires et populations où se mêlaient juifs, Egyptiens, Grecs, Arméniens, musulmans, Turcs, chrétiens maronites et druzes ne renonçant pas pour autant à l'agrément du récit (chasse au faucon ou expédition punitive maronite dans les montagnes libanaises, nuits arabo-byzantines de la capitale ottomane) ou à faire resurgir de vieilles légendes (celle du calife Hakem). Plus de neuf cents pages où l'écrivain narrateur déploie un talent polyvalent occulté par Langlois qui peine à guider sur le chemin d'une inspiration plus singulière et mystérieusement nervalienne.

Pauvre Gérard ! En vrac il lui est reproché d'utiliser un précédent voyage en Autriche et en Suisse pour introduire celui-là, de faire attendre cent quarante pages pour atteindre l'Orient et évoquer les premières « péripéties » égyptiennes ; de "piquer" une fausse visite aux Pyramides à l'abbé Terrasson ; D. Langlois qui égrène mensonges, anglophobie, emprunts (H. Vernet, Serieys, Lane), arrangements, « salades » et préjugés et s'offense d'une mise en scène littéraire (cocasse si on y lit de la dérision de la part De Nerval) déguisant une réalité sinistre : l'achat par Nerval d'une esclave javanaise (par Fonfride en réalité qui disparaît du récit), la jeune Zeynab, au marché du Caire censé le mettre en conformité avec les bonnes moeurs locales, réjouissante Zeynab qui lui en fait voir ensuite de toutes les couleurs (Chapitre 2). Nerval qui reprend ensuite la mer à Damiette sur un bateau grec et Zeynab qui fait à nouveau des siennes, sa quarantaine devant le port de Beyrouth qui lui permet d'entamer la lecture de L'exposé sur la religion des Druzes de Sylvestre de Sacy recommandée par la libraire du Caire Mme Bonhomme pendant que Zeynab fait trempette du bout des pieds. Après leur installation chez des hôtes maronites il la confie à une institution française de Beyrouth et rencontre enfin la princesse Druze Salema de son coeur dont le père en délicatesse avec les autorités locales l'initie à la religion des Druzes. Mais le poète tombe malade et les fiançailles à l'eau... Il file à Constantinople ! La lecture est expédiée, les épisodes rapportés ramenés à un niveau anecdotique. Au retour d'Orient l'antimilitariste Langlois reproche l'allocation obtenue du maréchal Vaillant (futur ministre de la guerre du second empire) alors que Nerval est hospitalisé sans ressources (p. 180) et le soixante-huitard se mesure avec satisfaction au quarante-huitard trop tiède que reste à ses yeux l'écrivain.

Bon, Nerval qui trouve pourtant grâce aux yeux de Saïd a t'il cédé à l'orientalisme ambiant et faut-il s'indigner de procédés d'appropriation littéraire courants dans son milieu quand le droit de la propriété intellectuelle tel qu'on le connait aujourd'hui n'existe pas ? On peut y réfléchir en se plongeant dans son Voyage (car Nerval comme Fromentin en Algérie méritent la lecture), ou rester avec Langlois qui lui semble avoir tranché et ne réussit pas vraiment à rendre compte de la manière dont le temps a oeuvré pour transformer les souvenirs de voyage en récit ni des détours empruntés par la création nervalienne, entre réel et imaginaire. le retour d'Orient nouveau départ pour Nerval est bien documenté ouvrant une phase très féconde dans les dernières années de sa vie. Période de reconnaissance par ses pairs où coexistent jusqu'au jour de son suicide des moments intenses de création solitaire ou partagée (théâtrale, poétique, romanesque) et des épisodes de rechutes de ses troubles psychiques, au milieu desquels prend place la reconstitution du Voyage et sa publication en épisodes et en livre. Ce Voyage où s'enchevêtrent les années, se superposent les souvenirs, s'entrecroisent la quête mystique et amoureuse, recommencé entre lucidité et crises de folies, est peut-être d'autant mieux réinventé qu'il avait été différé par celui à qui Jules Janin avait depuis longtemps taillé un costume d'illuminé. D. Langlois perd son temps à savonner Nerval, il intéresse davantage quand sa lecture s'emploie plus subtilement à suivre l'étoile orientale De Nerval en Orient : Jenny, lors d'apparitions successives ou sous incarnations diverses au gré des morceaux relus du Voyage (Mme Bonhomme à la librairie française du Caire, la princesse Salema à Beyrouth, ou Marie Pleyel au retour en France). La vision quasi mystique de l'amour de Nerval l'a-elle poursuivi dans le Chouf ?

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