Citations sur Bons baisers de Cora Sledge (20)
Toute la bouffe a le même goût, on dirait de la boue ou du carton. Elle est servie dans des assiettes marron caca ou vert dégueulis en Melmac, ce plastique incassable. Je ne serai pas surprise qu'on fabrique des jambes artificielles avec ce truc.
Ils se sentent tous coupables parce qu'ils m'ont mis ici, alors ils font ce qu'ils peuvent pour que je ne perde pas la boule.
Pur Noël, j'ai aussi eu un puzzle (comme perte de temps il n'y a pas mieux) et un nécessaire à broderie ( j'ai toujours eu horreur de ça).
Dimanche matin, lorsque mes gosses sont débarqués, j'ai cru à une descente de la Gestapo.
Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai craché le morceau. En deux mots comme en cent, j'ai parlé à Glenda de Vitus. Je lui ai carrément sorti : "Peut-être que j'ai bonne mine parce que je suis amoureuse."
Je lui ai expliqué qu'on m'avait pris mon chez-moi et ma chienne, et qu'on m'avait collée ici pour ne plus s'embêter avec moi. J'ai embrayé sur cette institution qui ne vaut pas beaucoup mieux qu'une prison, sauf que, pour aller en taule, il faut violer la loi, alors qu'ici, le seul crime qu'on ait pu commettre , c'est d'avoir vécu trop longtemps, de tomber et de se casser une jambe ou d'oublier une casserole de soupe sur le feu.
J’ai expliqué qu’on m’avait pris mon chez-moi et ma chienne, et qu’on m’avait collée ici pour ne plus s’embêter avec moi. J’ai embrayé sur cette institution qui ne vaut pas beaucoup mieux qu’une prison, sauf que, pour aller en taule, il faut violer la loi, alors qu’ici, le seul crime qu’on ait pu commettre, c’est d’avoir vécu trop longtemps, de tomber et de se casser une jambe ou d’oublier une casserole de soupe sur le feu.
Ce matin, donc, je me suis redressée brusquement dans mon lit comme si quelqu'un venait de prononcer mon nom. Souvent, je ne réussis pas à me sortir du plumard. J'y reste toute la journée, je somnole, je me réveille, je me rendors. Pour me calmer les nerfs, je force un peu sur mes chères petites pilules. Parfois des pans entiers de la journée s'effacent. Ça ne me dérange pas. Mais aujourd'hui, je me suis réveillée avec les idées on ne peut plus claires. Après un passage aux toilettes, je me suis assise à ma coiffeuse et je me suis mise à écrire.
J’ai laissé trainer ces cadeaux dans la salle de détente, et ils ont été chipés en un rien de temps. Le cahier, je l’ai glissé dans le tiroir du haut de ma coiffeuse en me disant que je pourrai toujours en arracher des pages si j’ai besoin d’un bout de papier. Ce machin est aussi gros qu’une fichue bible. Je ne vois vraiment pas comment une personne seine d’esprit arriverait à la remplir. Et puis, ce matin, je me suis levée tôt, le jour commençait à peine à filtrer à travers les stores. D’habitude, avec mes pilules, je suis assommée jusqu’au petit déjeuner, à l’heure où, en déambulateur ou en fauteuil roulant, le troupeau se dirige lentement vers la salle à manger. Mais ce matin, tout était calme. Personne n'appelait de son lit, personne ne donnait de grands coups en passant la serpillière. Les téléphones ne sonnaient pas encore au poste des infirmières, les jardiniers ne déplaçaient pas les feuilles avec leur maudite souffleuse, et les camions de livraison ne stationnaient pas devant ma fenêtre, moteur en marche.
C'est ma petite-fille Emma qui m'a donné ce cahier. La couverture est en toile à sac. Dessus, il y a une fleur séchée violette et, à l'intérieur, toutes les pages sont blanches. Je suis censée trouver ça beau. Le stylo violet qui va avec colle autant aux doigts que du chewing-gum mâchouillé. « Comme ça, tu n'auras pas mal à la main, mamie », m'a dit Emma. Je me suis mise à rire. La pauvre petite, si elle savait où ma main a pu se fourrer en quatre-vingt-deux ans, et pour quoi faire ! Mais bon, je suis restée poli et, de mon ton le plus aimable, je lui ai demandé à quoi ce truc pouvait bien me servir. « A noter tes pensées. Des souvenirs, des réflexions que tu aurais envie d'écrire. Un poème, peut-être, ou une impression qui a de l'importance pour toi. »
Cette gamine m'a toujours exaspérée.
Ils se sentent tous coupables parce qu’ils m’ont mise ici, alors ils font ce qu’ils peuvent pour que je ne perde pas la boule. Pour Noël, j’ai aussi eu un puzzle (comme perte de temps, il n’y a pas mieux) et un nécessaire à broderie (j’ai toujours eu horreur de ça). Dean, mon fils, m’a même offert des albums à colorier avec trois races de chiens : un caniche, un colley et un berger allemand. Ils me croient demeurée, retombée en enfance, ou quoi ?
Alors là, ils ne me connaissent vraiment pas.
Beaucoup de gens pensent que les vieux sont une bande de zombis desséchés qui n'éprouvent plus aucun sentiment. Bon, eh ben, moi, je peux vous dire que la soif d'amour ne disparaît jamais. Et même qu'elle devient encore plus forte. Nous avons vu beaucoup de choses, traversé des épreuves, et nous nous raccrochons à l'essentiel. Manger, dormir, aimer. Nous n'avons plus de temps à perdre. Nous avons besoin de plus d'amour, d'amour véritable, parce que nous avons moins de distractions qui nous empêchent de réfléchir à ce qui nous manque.