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- Il faut désormais veiller à lui éviter les émotions fortes.
- Comment peut-il avoir une vie normale, si l’on doit le préserver sans cesse ?
- Seigneur, ce n’est pas facile à dire, mais... ton fils n’est pas un enfant comme les autres. Il faut te résoudre à l’accepter.
Augmenter la masse de nos connaissances, conquérir des espaces jusqu'ici interdits. C'est le seul intérêt de l'existence.
— Ce sale Grec... Comme un imbécile, je me suis laissé séduire par le cadeau qu'il apportait. C'est une erreur que je regrette tous les jours.
— Tu ne dois pas avoir de regret, seigneur. Il t'a fait ce jour-là un don inestimable : tout le pays est persuadé du pouvoir magique de la toison d'or.
— Les gens sont stupides, Mégalès. Tu sais aussi bien que moi que la toison n'a pas le moindre pouvoir.
— Mais ce qui compte, seigneur, c'est ce que les gens croient.
Il n'y a pas eu d'enfance plus belle que la mienne. Je jouais dans le jardin. J'étudiais avec mon précepteur... ou par moi-même.
— Ton professeur me dit que tu es une élève exceptionnelle, très savante pour une fille de dix ans.
— C'est normal, père : je descends des dieux, tout de même !
— La nuit est bien noire. Tu veux que je te laisse de la lumière ?
— Non, je n'ai pas peur. Je n'ai jamais peur : mon père a plein de dieux dans sa famille.
— C'est vrai, j'oubliais. Ton grand-père, le Soleil. Hécate, la magicienne, ta sombre cousine. Tu es bien protégée.
— Bonne nuit, nourrice.
— Bonne nuit, ma chérie.
Quand on n'espère plus, c'est alors qu'on ne doit pas désespérer.
Les dieux aussi doivent savoir faire preuve de prudence.
De loin, on aurait dit une créature mi-femme, mi-poisson, mi-oiseau, ses grandes ailes rouges déployées sur la mer. Mais j'ai tout de suite compris que c'était un bateau et qu'il allait à jamais bouleverser ma vie.
Les funérailles eurent lieu dès le lendemain. Le corps de Phrixos fut cousu dans un sac de cuir, puis pendu à un arbre du grand cimetière qui s'étend entre les bras du fleuve, aux abords des marais.
C'est ainsi que l'on traite les morts en Colchide : on ne les brûle ni ne les enterre... On les livre à l'air qui les corrompt, au vent qui peu à peu leur reprend leur matière.
— Regarde ! Dédale n'a fait que l'imaginer. Moi je vais le réaliser. Médée, je vais être le premier à construire un navire capable de traverser la mer.
— Mais, père, c'est impossible ! On n'a pas le droit de naviguer sur la haute mer. Ce... ce n'est pas la place que les dieux nous ont assignée !
— Les dieux... Oublie les dieux. Pourquoi sommes-nous sur terre, à ton avis ? Pour jouir, nous gaver, amasser des fortunes ? Non. Nous sommes là pour comprendre comment tout cela fonctionne. Nous sommes là pour aller aussi loin que possible. Augmenter la masse de nos connaissances, conquérir des espaces jusqu'ici interdits. C'est le seul intérêt de l'existence... N'est-ce pas, du reste, ce que tu fais chaque nuit dans le temple d'Hécate ? Progresser. Il n'y a rien de sacrilège à cela. Dédale l'a compris avant tout le monde. Un jour, j'en suis persuadé, les hommes seront capables de construire des machines volantes. Et qui sait s'ils n'arriveront pas à se hisser jusqu'aux étoiles. En attendant, contentons-nous de conquérir la mer.