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Critique de Moovanse


"Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient"
J’ai marché avec Eux,
J'ai marché avec Eux -- péniblement, durant des jours et des nuits, au bord de la sécheresse des pages, dans les lumières aveuglantes d'or et de sel, sur cette mer de dunes mouvantes, où le silence est roi, le ciel vierge, vide, sans nuages, sans oiseaux, sans rien, seulement du bleu, seulement brûlure.
J'ai marché, là où les vagues se taisent. Avec Eux, avec Nour, dans cette mer de sable modelée, ridée par les frasques du vent qui danse et trébuche comme bon lui semble sur l'éternelle poudreuse, là, où toute trace finit toujours par disparaître, engloutie par les fines poussières.
Désert, ocres, rouges, blancs, éblouissants jusqu'à perte de vue, vallées desséchées, crevasses, boue, pays de pierres et de vents où le soleil boit tout : des hommes, jusqu'à la moindre goutte d'eau.
Désert - l'Eau. J'ai marché pour elle. L'eau comme un trésor. L'eau précieuse, convoitise arrachée, sale et lourde, âcre, âpre, juste cette "trace de sueur", ce "don parcimonieux d'un dieu sec, dernier mouvement de la vie" dans une aridité sans horizon.
Désert ! Et Rien d'autre !
On y vit, on y passe, on s'y courbe -- sans paroles – on y meurt !

Le long cortège s'étale : fantomatique, muet, lent, lourd, misérable, miséreux, hommes, guerriers, femmes, enfants, vieillards, troupeaux, sans fin, la faim, la misère, l'épuisement, harassement, la douleur … des ombres. Fuite obligée. Mort infligée.
J'ai croisé les regards brûlés, les lèvres saignantes, les corps penchés, les pieds nus, les morsures du sel, les haillons, la folle idée de terre promise, les prières, les chants, les espérances … J'ai croisé l'injustice !
Nous sommes en 1910 -1912 dans l'Histoire Vraie. Dans une guerre sainte contre l'envahisseur : Hommes bleus, touaregs, chassés du Sud, de LEUR terre, par les soldats français. Incroyable migration indigo, tragique calvaire, où l'argent et les armes auront raison de la plus légitime des rebellions. …
Hommes bleus, traqués, spoliés, brisés, tués …. Au nom de quoi et de quel droit ?
Inconfort. Quelque part en moi, une réelle compassion, un malaise, un écœurement, quelque chose comme un voile sale et noir, un sentiment de honte …. Le "plus jamais" n'existe pas …
Désert, c'est cette tragédie onirique, émouvante, admirablement peinte par Le Clézio.
Peinte, est le mot exact : une toile de maître picaresque. Désert comme un glacis brûlant.
Nour, jeune touareg, en est le fil conducteur, celui de l'exil, de l'errance, des derniers hommes libres raclant la poussière, enroulés de lumière crue dans la sombre nuit nue de leurs singuliers voiles bleus.

Mais Désert, en parallèle, c'est aussi un conte, une histoire dans l'Histoire, une petite merveille, prenante et éclatante, dont l'action se déroule bien des années plus tard.
C'est l'histoire de Lalla.
Celle qui porte en elle la force ancestrale du désert.
La raconter serait réducteur, la lire est fabuleux : des passages sublimes, des paysages somptueux, une sorte de pureté virginale servie par une douceur d'écriture vraiment particulière, presque vibratoire.
Et, partout, ces variations de lumière en bout de plume, égrenées en nuances infinies, accordées avec l'atmosphère ou le lieu à dépeindre : une perfection !
Lumière ! Autre acteur du livre ?
Lumière qui cingle, éclate, aveugle, brule, fascine, joue, danse, ondule, magnifie la beauté, lumière qui tremble, blêmit, s'efface, s'écrase et se dilue dans la misère ou le sordide….
Lumière hypnotique, façonnant telle une seconde peau le personnage de Lalla :

- Lalla éblouissante, parcelle de lumière cuivrée, étreinte dans sa Cité bidonville maghrébine. Bonheur simple du peu, heureuse, aux portes de deux libertés : le désert et la mer. Deux sels, deux silences, deux poumons, deux transparences, deux éclats…Elle s'y vertige. S'y fond. S'y colorise. Lalla sauvageonne aux pieds nus, posée dans les échancrures rassurantes des dunes, brulée sur les vastes plateaux de pierres sèches, ombrée des clartés stellaires des nuits, éblouie des ciels extraordinaires, nus, rosés, cendrés ou incendiaires …
Mélancolie étincelante, elle s'échappe, elle entend, elle attend … son histoire, le chant lointain, le regard de l'homme bleu.

- Lalla feutrée, rasante dans la ville grise de l'exil. Marseille l'oppressante, triste, sale, grouillante, bruyante et meurtrière. Misère de l'immigration … Lalla éteinte, cœur mendiant de lumière, "silhouette à peine visible, grise et noire, pareille à un tas de chiffons". Partout la peur, la pauvreté froide, l'abandon et cette tenaille : "la faim, la faim de douceur, de lumière, de chansons, la faim de tout".

- Lalla irradiante, aux yeux "brillants comme des gemmes", vertigineuse lueur sauvage et secrète dans son échappée du malheur

- Lalla, cristalline, toute en lumière douce et ardente dans son retour aux sources

Désert est tout à la fois une tragédie et un merveilleux, lyrique et onirique, intolérable et intensément doux, déchiré et unifié.
Il accueille la révolte mais aussi l'apaisement, la réconciliation.
Il se fait l'apologie de la liberté, celle la plus primaire possible, celle symbiotique avec l'élément vivant, celle sans limite "aussi vaste que l'espace, aussi simple que le sable" .

"Il n'y avait pas de fin à la liberté,
elle était vaste comme l'étendue de la terre,
belle et cruelle comme la lumière,
douce comme les yeux de l'eau"

Eblouie ! (jusqu'à l'avoir lu deux fois)
"Désert" : un embrasement de la première aube.

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