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Critique de Erik35


DANS LA RUMEUR DES EAUX.

Il faut parfois se méfier des textes qui paraissent par trop autobiographiques : lorsqu'ils sont de prime talent, il arrive plus souvent qu'à leur tour d'être non pas seulement "quelque chose d'autre que" mais, plus inconcevable sans doute, d'être "bien plus que cela", c'est à dire que, puisant au plus loin dans la mythologie personnelle de l'auteur, ils en arrivent à définir les contours d'un moment universel et vaste. Ce bref mais dense opus dans l'oeuvre de l'écrivain finistérien Philippe le Guillou ne déroge pas à cette règle pour ainsi dire proustienne - génie incommensurable avec lequel notre breton se sent, à juste titre, quelque noble filiation -.

Aussi, plus qu'un simple - tout est relatif - Lied malhérien de souvenirs anciens, quelque émouvant fussent-ils, c'est au déroulé sensible et profond d'un morceau de musique de chambre - on songe par exemple à un trio sombrement lumineux de Brahms - dans lequel les souvenirs d'enfance entameraient une étonnante discussion avec l'adulte écrivain qu'il est devenu, le lien entre les deux se transmuant, par la magie de la rivière Faou, en une manière - matière - de récit de voyage tranquille quoi qu'inquiet de ce qu'il va retrouver, nostalgiquement paresseux - de cette paresse active des passeurs de rêves et de mots, l'otium de nos antiques - un voyage à contre-temps autant qu'à contre-courant, au propre comme au figuré.

Ne voit-on pas ainsi notre arpenteur remonter le cours tortueux de cette petite rivière ayant donné nom au village de sa naissance, le Faou, le "fagus" pour en revenir à cette source essentielle de notre langue, cette langue d'un classicisme impérieux, poétique et complexe chez le Guillou, le Hêtre donc, et, pour rattachement viscéral aux racines celtes, l'arbre de l'éloquence, de la communication avec les ancêtres, ceux avec lesquels l'auteur de l'impressionnant Livres des Guerriers d'or ne cesse d'échanger mots - cette grand-mère «sérieuse, efficace, drôle et pétillante, mais certainement pas contestataire», plus loin le grand-père maternel, un taiseux sur lui-même mais qui distillait des «récits plein de crocs et de prunelles luisantes [...] avec la virtuosité d'un conteur»- contre remembrance de temps pas forcément si lointains mais qu'il avoue ne pas avoir toujours lui-même connus.

Rapide et lente pérégrination au fil de ce courant de souvenirs d'avants divers et d'enfance, le livre s'offre aussi l'attachement des grands prédécesseurs. Ainsi le Guillou convoque-t-il comme de son compagnonnage primordial, sans fausse modestie mais sans appesantissement, l'incontournable Julien Gracq, le grand styliste devenu aussi grand chrétien Joris-Karl Huysmans, Proust bien entendu, mais encore le poète terrien Jean-loup Trassard et Patrick Grainville, autre immense prosateur, pour les plus proches de notre temps. Et l'écrivain de nous rappeler, par le biais de ces dédicaces reconnaissantes autant que par l'immersion dans l'écrit - ceux de ces autres-là, le sien -, que les mots choisis sont en eux-mêmes voyage et creusement, sillon et frondaison, rareté et connaissance, que la phrase est surface et profondeur, silence et abondance, saisissement et influx. Où le lecteur, en ravissement, raffole de se noyer.

Prégnance sensible et humble en cette dé-marche véridique, celle des églises de ce presque bout du monde, celle aussi de cette foi chrétienne pénétrante, réconfortante, évidente, dont le Guillou ne fait nul secret, sans jamais en faire quelque cheval de bataille que ce soit, que marquent ce dialogue tant avec lui-même qu'avec ces lieux aimés. Autre forme d'Église, la Nature - rivière, mer, rocs, landes, forêt -, dans ce qu'elle a de génésiaque, de plus sauvage, cardinal et précieux, semble seule à même, en de courts instants, de transsubstantier ce croyant affirmé en un païen des temps de la belle Dahu et du roi Gradlon, à retrouver les temps et le «génie» de lieux millénaires, ravivant «aussitôt les sortilèges d'un monde qui continue de vivre, fidèle aux mythes, aux rites, loin des atteintes d'une modernité ravageuse.»

L'invite est si forte, le voyage semble tellement enchanteur qu'on n'hésite pas un instant à suivre l'écrivain dans ce rassérénant voyage vers "L'intimité de la rivière". Et on fait bien !
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