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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 #3 °°°

Guillaume Lebrun n'est pas le premier écrivain non historien à s'emparer de l'épopée de Jeanne d'Arc, pour ne citer que Mark Twain ( La Saga de Jeanne d'Arc ) ou très récemment Marc Graciano (Johanne ). Mais lui la réinvente bien au-delà du simple dépoussiérage pour jouer avec l'Histoire et imaginer un récit complètement cinglé à l'énergie rock'n'roll assumée. Et ce dynamitage inspiré est absolument génial, régalade et jubilation de la première à la dernière page !

C'est donc l'histoire de Jeanne d'Arc telle que vous ne l'avez jamais lue, même si on retrouve tous les passages obligés appris à l'école : la Guerre de Cent ans face aux Anglais, Armagnacs contre Bourguignons, les voix, la virginité, la levée du siège d'Orléans, le roi de France Charles VII enfin couronné roi à Reims, le bûcher. Aux côtés de Jeanne, l'auteur choisit de mettre en lumière un autre personnage historique : la duchesse Yolande d'Aragon, femme puissante maltraitée par l'Histoire, invisibilisée alors qu'elle a été pendant une quarantaine d'années au coeur de tous les grands événements de la première moitié du XVèmesiècle, notamment en tant que protectrice et conseillère de son beau-fils Charles VII ( dans le film de Luc Besson, Faye Dunaway lui prête ses traits ). C'est elle, entre autres, qui a financé et armé Jeanne d'Arc. Soit.

Ça décoiffe dès les premières phrases lorsque la fougueuse duchesse se présente à la façon du Diable de Sympathy for the devil des Stones. Alors que la Guerre de Cent ans se traîne, « affligée d'être coincée dans ce camp de big loosers, ratiboisés jusqu'à l'os et trahis de toutes parts », Yolande dite Yo conçoit le projet fou d'accélérer le Destin annonçant qu'une prophétesse devait couronner le prochain roi de France et libérer Orléans. Pour dénicher et modeler la future pucelle, elle met sur pied une école de formation secrète où une quinzaine de candidates prophétesses, toutes re-prénommées Jehanne ( avec un numéro ) vont s'entrainaient jusqu'à ce que la sélection désigne l'élue. Ce ne sera évident pas celle que Yolande imaginait au départ.

Au programme :
- « apprentissage de la lecture le biais des textes d'autrices de grande valeur antimâle ( Christine de Pisan ) »
- « petits pains et fontaine de vin : la véritable vie de Jésus-en-Christ »
- « entrainement à la décollation de Bourguignons »
- « initiation à la simulation de la transe mystique, méthode Hildegarde de Bingen »
- « mathématiques, méthode Hypathie d'Alexandrie »
- « comment éviter le bûcher ? méthode Guillemette Latubée ».

Guillaume Lebrun s'éclate et entraine le lecteur dans un récit joyeusement iconoclaste rempli d'irrésistibles clins d'oeil à la culture pop' de Freddy Mercury à Apocalypse now, en passant par Céline Dion ( avec la réécriture hilarante de Pour que tu m'aimes encore, que Jehanne la Douzième dédie à Yolande dite Yo ). Il le fait avec une proposition d'écriture follement inventive : un langage hybride mêlant différents niveaux et registres, anglais et idiomes médiévaux réels ou néologismes à consonnance médiévale, à la fois scandée et surannée, grouillants de mots savoureux, explosant tous les carcans stylistiques avec une énergie punk décomplexée.

C'est forcément un pari de tenir tout un roman ainsi. Si cela fonctionne aussi bien, c'est sans doute parce que la voix de Yolande alterne avec celle de Jehanne la Douzième, celle qui sera choisie comme prophétesse, guérillère féroce bien loin de la représentation d'une jeune femme mystique jusqu'au ridicule. le lecteur découvre avec gourmandise cette nouvelle Jeanne d'Arc au comportement et à l'apparence bien surprenantes ( je préfère ne rien en dévoiler ). On adore la suivre, notamment dans la bataille d'Orléans, ou plutôt l'extraordinaire deuxième bataille d'Orléans qui fait basculer le récit dans une autre dimension à l'esthétique heroïc fantasy qui ravira les amateurs de Tolkien et de la geste d'Eowyn combattant le chef des Nazgul dans les Champs du Pelennor, sous le regard d'un oeil sauronique. Avec une touche de Princesse Mononoké.

Cerise sur le gâteau, Guillaume Lebrun réussit à injecter dans son récit iconoclaste des thématiques toutes contemporaines avec un naturel confondant, par touches, tout en subtilité maitrisée : autour du féminisme ( place des femmes dans une société patriarcale, sororité et invisibilisation des femmes dans l'Histoire entre autres, fierté LGBT+ assumée ) mais aussi fabrique du discours médiatique désinformant ou manipulant les masses ignorantes ou « façonnage du boniment à clampins ».

Bref, un premier roman génial et explosif qui fait un bien fou et détonne dans cette production littéraire de la rentrée !
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