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Critique de Azallee92


Enquête remarquable parue en 2022, très dense et fournie, qui nous éclaire sur « le comment on en est arrivé là ? ». Il est difficile d'en faire une analyse complète. J'ai choisi un angle de vue.
J'ai beaucoup appris et j'ai apprécié comment Lucile Leclair nous présente très clairement la lente évolution du statut du paysan en France ;
Sous l'ancien régime, l'Eglise et les seigneurs dirigent le pays.
A la révolution, en 1789, les bourgeois prennent le pouvoir sur les terres des nobles exilés et investissent dans le foncier en rachetant les biens nationaux. Les paysans et les femmes ont été les oubliés de la Révolution.
En 1848 le droit de vote est accordé aux hommes et tous les paysans.
En 1850, l'industrie connait un formidable essor avec la création de ports, de canaux, des routes et la France change de structure : les bourgeois alors investissent dans l'industrie et abandonnent une partie du foncier agricole ;
A cette époque, les paysans qui sont métayers sont expulsables et ne peuvent pas travailler la terre convenablement ; certains vont trouver le salut dans l'achat de terre libérées.
En 1880, création du Crédit agricole qui sert à accorder des prêts aux paysans, sous le parrainage de Léon Gambetta, président de la chambre des Députés, qui va se battre « pour en finir avec le pouvoir des usuriers » et mettre en place un ministère de l'agriculture, le SNEA
« En faisant chausser aux paysans les sabots de la République », l'affaire de l'agriculture en France devient politique. le paysan peut s'élever au rang des petits propriétaires.
Après la dernière guerre, les avancées sociales sont réelles pour la population : sécurité sociale, salaire minimum obligatoire, droit de vote pour les femmes.
En Bretagne, un paysan résistant François Tanguy-Prigent est nommé par le Général de Gaulle ministre de l'agriculture.
En 1946 adoption d'une loi sur le fermage et le métayage pour que le fermier et le métayer ne soient plus « taillables, corvéables et expulsables à merci. » le peuple à faim et le pays doit produire ; il faut protéger la terre qui ne peut plus être concédée à titre précaire, et le statut des paysans qui doivent pouvoir acheter du matériel et enrichir le sol négligé depuis 6 ans.
Le bail fermier devient d'une durée minimale de 9 ans, reconductible automatiquement, avec le prix encadré par la loi selon les tarifs en vigueur et contrôlé par le tribunal des baux : les nouveaux statuts du fermier et du métayer limitent la toute puissance des propriétaires.
Le renouveau de la France doit passer cette étape décisive qui donne le pouvoir à celui qui travaille et qui nourrit le pays, et non pas celui qui possède.
Edgard Pisani alors ministre va créer la SAFER en 1960. Elle sera alimentée par des subventions de l'Etat. Elle sera arbitre dans la répartition des terres aux paysans. Mais en 2017, l'Etat se désengage. 2% du budget viendra de la région et 90% viendra des commissions qu'elle touche sur les ventes de terres. Elle est contrainte à se limiter à un rôle « d'agent immobilier ». On assiste alors à un démantèlement progressif des outils de régulation en France par le détournement de son rôle.
(Les paysans reprochent à la Safer de prendre des décisions à huis-clos, ils souhaiteraient avoir un droit de regard sur « le projet de leur futur voisin agriculteur ou de la firme qui veut s'installer à côté de chez eux.)
Et en 1962, l'avènement de la PAC va bouleverser l'organisation du monde agricole, européen et mondial.
Partant de là, Lucile Leclair nous montre comment la caste des bourgeois, « les cols blancs », va manoeuvrer pour récupérer les terres mises à disposition de ceux qui étaient chargés de la travailler.
En tout premier lieu, « embobiner » la SAFER, lui lier les poings pour l'empêcher de mettre son véto sur la préemption des terres ou de s'opposer à une vente ;
De fait, les fermes vont pouvoir être rachetées non plus par des agriculteurs mais par de grandes firmes uniquement tournées vers le commerce pour faire fructifier leurs affaires sur un plan national et international. Depuis les années 2010, la terre française est détournée de l'objectif de 1946 et l'agriculture passe au pouvoir des firmes qui vont oeuvrer pour une agriculture sans paysans, uniquement des prestataires de travaux ou des ouvriers agricoles, plus faciles à manipuler. Les terres seront massacrées à force d'engrais et de pesticides qui tuent les agriculteurs et leurs cheptels avec la crise de la vache folle en 1990.
Cette concentration de foncier entraine la flambée des prix à l'Ha : les jeunes générations ne peuvent reprendre les terres des anciens pour s'installer, les banques ne prêtent plus, l'Etat se désengage, les multinationales font main-basse sur les terres et même deux entreprises et des particuliers chinois ont acheté 1700 hectares de terres agricoles dans l'Indre en 2016 et 900 hectares dans l'Allier, à l'insu de tous en France ;
Comme l'écrit Camille Guillou dans « les saigneurs de la terre » : « le paysan était un serf. La Révolution l'a libéré. le "progrès" l'a ramené à sa condition première. Vive le progrès ! ».
Les agriculteurs sont redevenus les esclaves des cols blancs de l'agro-industrie et de la grande distribution ;
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