Petit livre savoureux malgré la problématique tragique. Juste, drôle, cynique et poignant. Ce roman rend hommage aux personnes rongées par la maladie, aux personnes qui les accompagnent et les aiment. Un hommage ni larmoyant, ni arrangé.
Pascale Lécosse campe judicieusement son histoire chez une grande Dame de Théâtre et de Cinéma, une actrice célèbre et talentueuse, fantaisiste comme les saltimbanques, passionnée, humaine avec ce qu'il faut de narcissisme et parfois d'égocentrisme du à son rang et son aura. Plus que tout attachée à la Liberté intrinsèque à la Création, aux textes à défendre et à incarner, à la mémoire comme outil indispensable à son art, Catherine tombe sous le joug du sort et de sa cruauté : la sournoise démence s'infiltre en elle et progressivement lui ôte les mots, bouscule sa mémoire, lui souffle l'oubli. Nous sommes touchés en lisant les coups d'éclats de cette élégante, de ces failles apparentes, ces instants de bascule où tout vacille.
Et puis il y a Mina : celle qui est là, toujours, immanquablement là, depuis longtemps, voire toujours. Secrétaire, agent, attachée, adjoint, garde du corps…présence, compagne, double, amie. Mina a sacrifié sa vie, son intime, un amour pour rester auprès de Catherine. Elle assiste impuissante, ne laisse rien paraître, rattrape, répare, répète : solide et indéfectible amarre. Elle a conscience, elle ne nie pas l'inévitable, s'épuise mais ne s'avoue pas vaincue et reste inscrite du côté de la vie qui est à préserver pour cette femme adorée. Il y a l'amant absent, égoïste, un peu lâche mais non pas moins amoureux. Les dialogues sont savoureux, francs du collier, d'une drôlerie épicée, d'une tendresse inégalée, le tout dans une écriture fluide, directe et maline.
Cette maladie sans qu'elle n'ait besoin d'être nommée ou expliquée est admirablement bien dite avec une exactitude poétique qui mieux qu'un colloque transmet ce qu'il y a à saisir de son horreur chronologique.
« C'est la forme précoce de la maladie que je développe, la plus dévoreuse, la plus avide. J'ai dans la tête un mal gourmand qui me transforme en rosier stérile. Une saleté qui fait de moi une autre. Je voudrais l'espérance. Les mots me quittent un peu plus chaque jour sans que je puisse les retenir. »
Pascale Lécosse rend honneurs aux personnes atteintes en leur rendant leur parole même dans les égarements, surtout dans les égarements. Unicité de chacun que la pathologie tend à réduire à l'objectivable patient… Ainsi des petites perles comme des trouvailles se glissent et orientent de façon tout à fait originale et très pertinente la perception de cette mémoire en ébullition.
« Si j'imagine qu'il y a des gens quand il n'y en a pas, c'est que j'ai des présences, pas des absences. »
« Ses petites phrases, répliques qui font mouche, trempées de lucidité comme des flèches empoisonnées, me bouleversent plus encore que ses excès de démence ».
Premier roman réussi, bijou à garder précieusement.