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Citations sur L'homme qui brûle (5)

La fille du charcutier de gros bourg avait voulu m’inscrire à des cours d’éducation physique, mais elle avait constaté avec ravissement que son rejeton n’avait pas de corps. C’est plutôt une bonne chose, cette absence de corps, avait joui vastement dans l’espace la voix de la fille du charcutier. Dans le Figaro Magazine du week-end, elle avait lu un reportage sur quatre garçons qui avaient eu leur bac avec mention très bien à Louis-le-Grand. Louis-le-Grand, à Paris, est un lycée d’élite, un établissement d’excellence suprême où les meilleurs professeurs de France enseignent à des classes extraordinairement motivées, dans des classes où brille un très beau parquet ciré. Ah ! ça ne bavasse pas dans les classes de Louis-le-Grand, ça ne flirte pas, ça ne se met pas de main dans les culottes. Les élèves de Louis-le-Grand montent et descendent de très beaux escaliers à double volée de marbre, comme dans Les disparus de Saint-Agil. On n’entend pas une mouche voler dans les couloirs. Pas une mouche ! Les quatre mentions très bien avaient tous des lunettes à grosse monture, la peau grêlée de boutons sanglants grattés à l’ongle, un épais duvet brun au-dessus de la lèvre supérieure. Un des garçons me fixait. Ses yeux noirs et myopes me disaient que j’étais sur la bonne voie.
« Continue, continue mon gars.
– Je suis dispensé de sport depuis trois ans, je lui répondais, j’ai une scoliose et ma vue baisse.
– C’est bien, c’est bien mon gars, continue », luisaient les yeux sur la photo de l’article.
La fille du charcutier avait découpé l’article du Figaro Magazine, je l’avais rangé dans le premier tiroir central de mon bureau pour pouvoir le relire régulièrement et regarder la grande photo ouvrant l’article, la photo tout à fait royale. Internat de Louis-le-Grand, Paris, brique fendant l’air : voici l’objectif. Lunettes à double foyer, peau grêlée par des maladies bizarres, épaules qui tombent : voilà le chemin. Après leur bac mention très bien, les quatre garçons avaient été contactés par des écoles américaines qui feraient d’eux des triomphants, relatait l’article. Vers trente ans, ils s’achèteraient un corps et jouiraient sur des filles entièrement nues. Ils ne mourraient jamais.
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Depuis mon texte sur maman, dont je reste persuadé qu’il m’avait été commandé par Trust qui voulait sans doute me jouer une bonne farce, LE PROJET a gagné en complexité. LE PROJET fera une large part aux millénarismes, bien sûr, car ma volonté que tout finisse, volonté à l’état le plus simple, le plus brut, volonté la moins sublimée du monde, pure pulsion du pire, a besoin de se trouver des modèles plus dignes. Thomas Münzer, sûr de l’imminence de la moisson, Thomas Münzer sans aucun rapport avec ma pulsion, Thomas Münzer me rehausse pourtant à mes propres yeux. Je me rends bien compte que maman a pris une importance croissante dans LE PROJET. Elle occupe une sorte de fonction étrange mais indéniable. Une tache indélébile, une sorte d’espèce de fonction de tache indélébile. Travailler sur Münzer pourrait éloigner maman un peu. Je vois bien que je suis presque entièrement fantôme, je ne suis pas dupe. Les mots me manquent, le vide remplit mon corps à ras bord, mais je m’efforce. Je traîne quelque chose d’humain derrière moi comme un poids mort dont je ne peux me débarrasser. À certains moments, parfois une heure ou deux d’affilée, en me privant de machine, je peux prendre des notes sur LE PROJET, dans mon cahier bleu, notes provisoirement réunies sous le titre de DONNEZ-MOI UN CORPS.
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Quand la voix de quelqu’un vient vous chercher dans votre refuge de la Cité internationale au milieu de l’herbe et des tilleuls pour vous dire : « On boit du Ruinart, mon pote, je suis déchiré, putain », c’est qu’il vous connaît, qu’il a des habitudes de paroles avec vous, et s’il vous connaît, vous le connaissez vous aussi, forcément, et vous l’avez rencontré, d’une manière ou d’une autre, la preuve : vous lui répondez : « Chouette, c’est cool. » Voilà des faits implacables avec lesquels il faut accepter de vivre.
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J’ai apporté le livre d’Ernst Bloch que je ne peux lire qu’à la maison Heine. Ich lese Ernst Bloch im Heinrich-Heine-Haus, face à la pelouse d’un vert insolent, profonde sous le soleil dur. J’ai essayé chez moi, en vain. Sur le trajet à la rigueur, quand le wagon n’est pas trop bondé, rarement. Je pose sur la table de verre le volume, Thomas Münzer, théologien de la révolution. Thomas Münzer seul importe. Thomas Münzer, le sujet du livre. Thomas Münzer, Ernst Bloch, dans la maison Heinrich-Heine, voilà la structure, voilà la trame. Münzer, Bloch, HHH. Thomas Münzer constitue un élément essentiel, la pierre angulaire du PROJET. Il ne faut lâcher Münzer sous aucun prétexte. Quatre syllabes : Thomas Münzer. Là. J’inspire, je garde, j’expire. Je relis la quatrième de couverture.
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Il ne reste rien de l’énorme cratère creusé par l’explosion. Trois pelleteuses déblaient les derniers gravats dans la rue Rambuteau. En quatre mois à peine, des escaliers mécaniques ont surgi dans le boyau de verre. Les passagers descendent à la vue de tous, presque à la verticale, de la rue jusqu’aux quais des lignes A, B et D. Des patrouilles de militaires en uniforme gris moucheté de noir examinent les bagages. J’ouvre ma sacoche. Des agents de la mairie distribuent des questionnaires « dans une démarche d’association des usagers au choix du monument commémoratif aux victimes ». Je franchis un portique de détecteur de métaux dans la chaleur écrasante. Nous ne vivons plus dans une époque mais dans un délai.
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