Dans la langue française, le masculin « il » l'emporte sur le féminin « elle », preuve, une fois encore, de la domination masculine, dit-on.
Tout est une question de point de vue.
Si on considère que « ils » est utilisé lorsque des hommes et des femmes sont présents, c'est que « ils » est neutre ! Cela signifie donc que les femmes ont le privilège d'avoir un pronom féminin « elles » là où les hommes doivent se contenter d'un neutre « ils » qu'ils soient entre eux, ou mélangés à des femmes. Visiblement, ce qui est féminin a de la valeur, là où ce qui est masculin n'en a pas…
Dés lors qu'on considère le monde comme machiste, patriarchale, on ne verra que les éléments qui confortent notre point de vue.
De mon côté, j'ai tendance à considérer que le monde est favorable aux hommes dans certains domaines mais favorable aux femmes dans d'autres. On voit la femme qui fait le ménage mais on ne voit pas l'homme qui répare… On voit la femme qui pleure à chaudes larmes mais on ne voit pas l'homme qui pleure intérieurement.
«
Délivrez nous du mâle » d'
Alexis Legayet est un roman qui gratte…qui grince et dérange… mais c'est probablement ce qu'il faut d'un roman pour faire réfléchir aux sujets sociétaux et faire évoluer les idées.
Résumé de l'histoire :
Alain Barfol, professeur de philosophie, pratique des jeux débiles avec ses collègues masculins : taper sur les fesses. Un jour, par erreur, il fait de même à une femme journaliste, la prenant pour un de ses collègues.
Il se retrouve alors suspendu suite à un bashing médiatique puis, pour lui éviter une peine, on lui propose d'intégrer un institut, la matrice, qui soigne le machisme en déprogrammant, conditionnant, « déconstruisant » les hommes.
Il se retrouvera alors, avec d'autres hommes, plongé dans un univers que je qualifierai d'ultra-féministe poussé jusqu'à l'absurde: les bâtiments ont la forme d'oeufs courbes plutôt que de tours phalliques ; les plafonds rabaissés dans les WC imposent aux hommes d'uriner assis ; les couloirs sont organisés de manière à ce que les hommes perdent le sens de l'orientation ; il y a interdiction de s'asseoir les jambes écartées (J'en profite pour signaler à ceux qui me lisent que le « manspreading » a des explications purement biologiques -pour protéger les testicules et leur contenu- et n'a rien de sexiste) ; un.e des docteur.e.s est d'un genre indéterminé et changeant ; des prières se font pour louer la « Terre-mère » (au lieu d'un Dieu masculinisé) ou sainte-Christine (car Jésus était une femme, en fait) ; pour communier, les hommes doivent manger l'hostie faite de menstrues (« à eux d'avaler maintenant ») ;… Bref, tout est dans la finesse (le propre du sexe féminin ?)
Puis, une bascule d'un extrémisme à l'autre se produit : Barfol est approché par un groupe masculiniste survivaliste islamophobe, qui l'enlève malgré lui (suite à une confusion, décidément !). Ce groupe cherche à réparer les dégâts provoqués par la matrice sur lui. Les membres de ce groupe extrémiste finissent par être arrêtés et Barfol est invité à témoigner de son calvaire parmi eux, en se faisant passer pour un féministe…la thérapie de la matrice a fonctionné, enfin, en apparence…Alexis Legayet nous propose ici, une critique drôle et absurde de la mauvaise foi féministe. Forcément, elle ne plaira pas à tout le monde.
Avec brio, L'auteur nous montre comment on peut réinterpréter des faits en fonction de sa vision du monde, dans le cas présent, selon la grille de lecture ultra-féministe.
On peut penser que la réussite d'un roman se mesure à l'aune de trois éléments :
- Sa crédibilité (une histoire doit être soit complètement crédible, soit totalement irréaliste, selon la loi du tout ou rien). Ici, A.Legayet nous malmène en nous faisant passer de l'un à l'autre : le début semble crédible, on se sent plongé dans le monde actuel. Dès l'entrée dans la matrice, on se sent davantage dans un monde dystopique. A la fin du roman, on retrouve un monde bien connu.
- Son intérêt : Ce roman n'est pas qu'une critique de l'exagération de l'ultra-féministe, mais également de l'excès médiatique qui fait et défait des idées ou des hommes (pardon : des humains) en quelques jours. On comprend que tout n'est que question de point de vue et qu'il faut chercher à comprendre une situation ou une personne avant de la juger (et comme je le dis souvent, une fois qu'on a compris, on n'a plus envie de juger !)
- La sympathie de ses personnages et notre faculté à s'y identifier : si le personnage principal m'est paru antipathique au départ car il est présenté comme un obsédé un peu bourrin, il en devient de plus en plus attachant au fur et à mesure de ses mésaventures.
En résumé, j'ai aimé ce roman que j'ai trouvé drôle et intelligent, même si je l'aurais aimé plus long (en prolongeant notamment le séjour dans la matrice pour développer d'autres aspects du féminisme poussé à bout jusqu'à l'ineptie).
Il peut ouvrir la voie à un débat ou à plusieurs.