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Critique de michfred


La Folle d'en Face aime la radio qui distille toute la journée des chansons populaires, vieilles scies sentimentales qu'elle connaît par coeur.

Elle les fredonne pour oublier qu'elle n'a plus que quelques mèches sur le crâne, qu'elle vieillit et qu'il devient de plus en plus difficile, pour une vieille tapette comme elle, de trouver un micheton qui veuille bien suivre la danse chaloupée de ses jupons brodés…

Mais elle rencontre le beau Carlos : il est superbe, viril, jeune, étudiant-ou du moins il le clame- et traite avec respect et distinction ce vieux travesti sentimental, chez qui lui et ses compagnons viennent constamment apporter d'étranges paquets, et tenir de mystérieux conciliabules.

La Folle en est absolument folle, de son Carlos, mais elle n'est pas zinzin pour autant- pas folle la guêpe : elle sait bien qu'il vaut mieux ne pas poser de questions et encore moins ébruiter auprès de ses copines fofolles le va-et-vient suspect de cette bande de jeunes chez elle, avec tous leurs colis.

Elle ne précipite rien : elle se contente d'être là pour son bel hidalgo, et de lui déployer ses nappes brodées quand il l'emmène en pique-nique, non loin de la résidence secondaire du tyran. Une folle aux lunettes de chatte, portant chapeau jaune sur fourreau lamé, ça ne passe pas inaperçu !Tant mieux : on ne voit qu'elle, belle diversion , et on en oublie les étranges manoeuvres du beau Carlos qui espionne la route à la jumelle et court de ci de là, sur la montagne escarpée…

Il faut préciser que nous sommes en septembre 1986, au Chili, sous la dictature implacable du tyran aux lunettes noires, Augusto Pinochet, flanqué de son inénarrable femme, dame Lucia, aussi évaporée et futile que ses toilettes, et complètement inféodée à son coiffeur Gonzalo, féru d'astrologie… et que nous sommes à quelques jours d'un attentat -pardon, d'une « embuscade »- qui pourrait bien lui coûter la vie, à ce vilain pas beau…si on ne savait pas tous, malheureusement, que l'Affreux va encore sévir pas mal d'années avant que le juge Garzon ne le harponne par surprise…

J'ai adoré cette fable gaillarde et baroque, corsée comme un poème de Genet, fleurie comme un romancero de Garcia Lorca, drôle comme un roman picaresque.

Poétique et politique, kitsch et choc ! Un régal ! Merci les filles : Pecosa, Latina, Bookycooky, ClaireG !! C'est une pépite, les amours de votre matador et sa tendre tarlouze !

Oui j'ai tremblé -ô matador- et surtout j'ai été bouleversée, projetée en arrière, du temps des fêtes joyeuses d'avant les années sida, où J-P nous brisait le coeur en chantant Zarah Leander, où C. mettait sa perruque et des bas résille pour se transformer en Dalida, sous les yeux amoureux de son H. …pas chilien mais presque, et où la tendre bande de fofolles qui était nos cop(a)in(e)s entonnait Don't cry for me Argentina.. avant d'être emporté(e)s, les un(e)s après les autres, par le vent mauvais d'un cyto-mégalo- virus alors insoignable…

Mais j'ai ri, aussi, ô matador, aux soliloques pertinents et impertinents de la Folle, à ces dialogues fusionnels jusque dans la forme entre Carlos et elle, entre Carlos et lui- les pronoms personnels contribuant à semer l'équivoque et la pagaille- Je me suis délectée des délires cuculs- neuneus ( adjectif super trav'!!) de Lucia, ou paranos d'Augusto, obsédé par l'homosexualité, jusqu'à la caricature ..

Et, oui, j'ai tremblé , ô matador, devant l'horloge implacable de l'urgence, le « timing » de l'attentat-pardon, de l'embuscade- et celui de la traque répressive avec son étonnant chassé-croisé entre chasseurs et chassés…

Et, oui j'ai reconnu dans les personnages de Carlos et de sa belle commandante tant jalousée par la Folle, des silhouettes historiques : le couple de guerilleros, le sémillant Cesar Bunster, du Front populaire Manuel Rodriguez, -cellule « terroriste » émanant du PC chilien- qui échappa à la répression après l'attentat du 7 septembre 1986- comment faut-il vous le dire, que c'est une embuscade ? -, et qui vécut en exil, tandis que sa comparse, la belle et toute jeune commandante Tamara, mourait sous la torture et devenait une icône de la résistance à Pinochet.

Mais j'ai surtout admiré, ô matador : Pedro Lemebel a tout magnifié, transformé –c'est bien le moins pour un artiste qui a fait du travestissement son combat- de sa pétillante imagination, de sa langue magique, de sa verve féconde, pour faire vivre- à notre grand ravissement !- cette faune chamarrée et interlope, dispensant son empathie chaleureuse et ironique sur tous ses personnages…

Mais à présent, je tremble, ô matador : elle est trop vite éteinte, ta chanson !

Elle a un goût d'encore, ô matador !




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