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Alexandra Carrasco (Traducteur)
EAN : 9782264043559
188 pages
10-18 (16/05/2007)
3.93/5   35 notes
Résumé :
L'histoire se déroule en 1986 en pleine dictature au Chili. Celle que tout le monde appelle "la Folle du Front" vit dans un quartier pauvre de Santiago. Cette vieille femme transgenre a quitté la prostitution et brode désormais des nappes raffinées en fredonnant des chansons de Sarita Montiel.Très vite, la voilà amoureuse de Carlos, un jeune militant, pour qui elle est prête à tout. Lui voit dans la maison branlante de " la Folle " un lieu idéal pour cacher et stock... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Attisée par la chronique éclatante de DanD, je me suis lancée dans la découverte de cet auteur chilien dont je ne savais rien. Bien m'en a pris.

1986 – Santiago – Dictature du général Pinochet.
La Folle d'En Face est un travesti qui a quitté son secteur de prostitution pour une maison branlante d'un quartier pauvre de Santiago où il excelle dans la broderie raffinée de nappes qu'il fournit aux boutiques huppées et aux familles aristocratiques. Tout en écoutant les chansons romantiques de Sara Montiel dont l'une donne son titre au livre.

Son chemin croise celui de Carlos, un jeune étudiant révolutionnaire, qui voit en sa maison le refuge idéal pour la révision de ses cours de droit avec ses amis et l'entreposage de ses syllabus volumineux. La Folle tombe irrémédiablement sous son charme tout en n'étant pas dupe du contenu des caisses qu'elle dissimule sous maints falbalas et dentelles ni du sens des réunions d'étudiants. Il/elle jouera un rôle de premier plan dans la préparation de l'attentat de septembre contre le président/dictateur.

En écho, un autre couple, détestable celui-là, permet à Pedro Lemebel de donner libre cours à son opposition politique, celui de Lucia et Augusto Pinochet. Elle, vitupérant sans cesse contre son mari qui a laissé revenir tous ces communistes « qui se prennent pour des écrivains » et ne pensant que comme son mentor, coiffeur et styliste Gonzalo. Lui, arrogant, homophobe en diable, détestant le jaspinage continuel de sa femme, et misérable lorsque ses rêves d'hier et d'aujourd'hui lui font détester la peur qui ne le quitte pas. Celle d'un attentat.

Le ton de l'auteur change radicalement lorsqu'il parle des uns et des autres. D'une douce violence lorsqu'il s'agit des sentiments éprouvés par La Folle à l'affection que finit par lui vouer Carlos, du verbiage ridicule de la première dame au mépris sadique de Pinochet/Pinocchio. « Je hais la poésie comme je l'ai dit à ce connard de journaliste qui m'a demandé si je lisais Neruda… Vous voulez que je vous fasse un aveu ? Je hais les poèmes. Je n'aime ni en entendre ni en lire ni en écrire, rien du tout. Où est-ce qu'il est allé chercher une question aussi conne ? Pourquoi ne pas me demander si je fais de la danse classique, tant qu'on y est » (p. 122).

Ce roman est empreint d'événements biographiques et réels qui donnent souvent la chair de poule et qui fait écho à un autre Chilien, Luis Sepulveda, lui aussi témoin et victime de la trop longue gouvernance dictatoriale.

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Aux matinées fenêtres ouvertes, "Je tremble , ô matador, j'ai peur de voir ton sourire flotter le soir", fredonne la Folle d'en Face qui habite la petite maison aigrelette au coin de la rue. La rue se trouve dans un quartier populaire de Santiago du Chili, la Folle d'en Face est un travesti excentrique qui vit hors de son temps. La rencontre à l'épicerie avec Carlos, un beau macho qui lui demande de lui garder des caisses dans sa bicoque, va la faire trembler pour de bon......c'est parti. Nous sommes en septembre 1986, dans les journées noires de la dictature, le macho est un militant anti-Pinochet et les caisses contiennent des flingues.....
Parallèlement à ce récit, on suit un autre couple; Augusto Pinochet dans ses pensées secrètes, grotesque, affaibli, avachi sous les logorrhée rébarbatives de sa femme, une petite bourgeoise sotte, qui vit sous les ordres de Gonzalo, "son styliste " efféminé. Tandis qu'il fait des cauchemars mettant en scène sa propre mort, sa femme projette un voyage à Miami pour s'acheter des chaussures Versace en solde....
Alternant les deux récits, le rythme s'accélère jusqu'au dénouement final.

La prose est à l'image de la Folle, sensuelle, flamboyante, baroque, burlesque, mélancolique, à l'humour noir .....fleurie de poèmes....car Lemebel était avant tout un poète . Beaucoup de pudeur, aucune scène obscène ni de langage cru, bien que le sujet s'y prête fort.Et un sacré boulot de traduction, car le texte est bourré d'expressions et de mots du jargon de tantouse, dont on devine le sens mais introuvables sur le dico du net.


Dans le Chili de Pinochet où les homosexuels et les révolutionnaires appelés automatiquement communistes sont mis dans le même sac, une histoire d'amour originale et bouleversante.Entre rêve et réalité, des personnages terriblement attachants, qui frisent la caricature. Un texte partiellement autobiographique, basé sur un événement réel, relatant le profond clivage de la société chilienne entre pauvres et riches et les affres de la dictature. Fils d'un boulanger d'un quartier très pauvre de Santiago , Lemebel lui-même homosexuel en dira ,"No me hable del proletariado, porque ser pobre y maricón es peor » (Ne me parlez pas du prolétariat, parce qu'être pauvre et pédé est encore pire ). Un homme atypique aux multiples talents,mort en Janvier 2015, grand ami de Roberto Bolano et trés connu dans son pays et dans le monde littéraire hispanique et américain. C'est son seul livre traduit de l'espagnol.
Un livre qui me rappelle le cinéma d'Almodovar.....que j'adore.


Je tremble, ô matador,
j'ai peur de voir ton rire flotter,
dans l'air du soir !
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Je n'avais pas tremblé autant, ô Lemebel, depuis ma lecture d' Avant la nuit de Reinaldo Arenas, découvert en 2000 grâce à l'adaptation de Julian Schnabel. Je croyais ne pas connaître Pedro Lemebel, et pourtant j'avais déjà vu une photo de lui, vêtu à la Frida Kahlo, un déroutant portrait en noir et blanc effectué dans le cadre de son projet Yeguas del Apocalipsis.
Parler de Lemebel, écrivain chilien, comme d'un homosexuel militant, comme la voix des travestis opprimés par une société machiste, serait bien réducteur. C'est une voix unique, inclassable, un style novateur, incroyablement libre, qui dans Je tremble, ô Matador ("Tengo miedo torero" chanson de Sarita Montiel, reprise par Lola Flores) relate l'attentat commis contre Pinochet à travers le destin de la Loca del Frente, La Folle d'en Face, travesti vieillissant fou d'amour.
Le contexte politique évoqué dans le roman est authentique, il s'agit de la préparation à Santiago de Chile en 1986 d'un attentat organisé contre le dictateur par le Frente Patriótico Manuel Rodríguez, l'Operación Siglo XX. Je tremble, ô Matador met en parallèle la vie de deux couples. D'un côté celui que forment La Loca del Frente et Carlos, jeune étudiant, membre du F.P.M.R. qui utilise son amoureux transi pour préparer l'attentat, d'un Frente à un autre. De l'autre, il y a les Pinochet, le dictateur vieillissant et sa femme Lucía Hiriart, toujours flanquée de son styliste Gonzalo Cáceres, rombière bigote obsédée par les tenues Nina Ricci.
La subversion est là, dans la mise en scène de ces deux couples aux antipodes l'un de l'autre, l'un retranché dans les quartiers résidentiels, l'autre survivant dans le Santiago des pauvres, des modestes, des sans voix, des marginaux. Je tremble ô Matador est une extraordinaire critique sociale et politique, qui mêle habilement les acteurs de la Grande Histoire aux Queers de la capitale, les discours officiels de Radio Cooperativa et les paroles des boleros. On pourrait faire un raccourci en évoquant Le baiser de la femme araignée de Manuel Puig, ou Fresa y chocolate de Senel Paz, mais Tengo miedo torero, est unique, bouleversant, une belle histoire d'amour dans un pays en guerre.
Pour conclure, voici un extrait du "Manifesto" de Lemebel, "Hablo por mi diferencia", qui donne envie de se plonger dans le reste de son oeuvre sans plus tarder:
"No soy Pasolini pidiendo explicaciones
No soy Ginsberg expulsado de Cuba
No soy un marica disfrazado de poeta
No necesito disfraz
Aquí está mi cara
Hablo por mi diferencia
Defiendo lo que soy
Y no soy tan raro
Me apesta la injusticia
Y sospecho de esta cueca democrática
Pero no me hable del proletariado
Porque ser pobre y maricón es peor
Hay que ser ácido para soportarlo
Es darle un rodeo a los machitos de la esquina
Es un padre que te odia
Porque al hijo se le dobla la patita
Es tener una madre de manos tajeadas por el cloro
Envejecidas de limpieza
Acunándote de enfermo
Por malas costumbres
Por mala suerte
Como la dictadura
Peor que la dictadura
Porque la dictadura pasa
Y viene la democracia
Y detrasito el socialismo
¿Y entonces?(…)"
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La Folle d'en Face aime la radio qui distille toute la journée des chansons populaires, vieilles scies sentimentales qu'elle connaît par coeur.

Elle les fredonne pour oublier qu'elle n'a plus que quelques mèches sur le crâne, qu'elle vieillit et qu'il devient de plus en plus difficile, pour une vieille tapette comme elle, de trouver un micheton qui veuille bien suivre la danse chaloupée de ses jupons brodés…

Mais elle rencontre le beau Carlos : il est superbe, viril, jeune, étudiant-ou du moins il le clame- et traite avec respect et distinction ce vieux travesti sentimental, chez qui lui et ses compagnons viennent constamment apporter d'étranges paquets, et tenir de mystérieux conciliabules.

La Folle en est absolument folle, de son Carlos, mais elle n'est pas zinzin pour autant- pas folle la guêpe : elle sait bien qu'il vaut mieux ne pas poser de questions et encore moins ébruiter auprès de ses copines fofolles le va-et-vient suspect de cette bande de jeunes chez elle, avec tous leurs colis.

Elle ne précipite rien : elle se contente d'être là pour son bel hidalgo, et de lui déployer ses nappes brodées quand il l'emmène en pique-nique, non loin de la résidence secondaire du tyran. Une folle aux lunettes de chatte, portant chapeau jaune sur fourreau lamé, ça ne passe pas inaperçu !Tant mieux : on ne voit qu'elle, belle diversion , et on en oublie les étranges manoeuvres du beau Carlos qui espionne la route à la jumelle et court de ci de là, sur la montagne escarpée…

Il faut préciser que nous sommes en septembre 1986, au Chili, sous la dictature implacable du tyran aux lunettes noires, Augusto Pinochet, flanqué de son inénarrable femme, dame Lucia, aussi évaporée et futile que ses toilettes, et complètement inféodée à son coiffeur Gonzalo, féru d'astrologie… et que nous sommes à quelques jours d'un attentat -pardon, d'une « embuscade »- qui pourrait bien lui coûter la vie, à ce vilain pas beau…si on ne savait pas tous, malheureusement, que l'Affreux va encore sévir pas mal d'années avant que le juge Garzon ne le harponne par surprise…

J'ai adoré cette fable gaillarde et baroque, corsée comme un poème de Genet, fleurie comme un romancero de Garcia Lorca, drôle comme un roman picaresque.

Poétique et politique, kitsch et choc ! Un régal ! Merci les filles : Pecosa, Latina, Bookycooky, ClaireG !! C'est une pépite, les amours de votre matador et sa tendre tarlouze !

Oui j'ai tremblé -ô matador- et surtout j'ai été bouleversée, projetée en arrière, du temps des fêtes joyeuses d'avant les années sida, où J-P nous brisait le coeur en chantant Zarah Leander, où C. mettait sa perruque et des bas résille pour se transformer en Dalida, sous les yeux amoureux de son H. …pas chilien mais presque, et où la tendre bande de fofolles qui était nos cop(a)in(e)s entonnait Don't cry for me Argentina.. avant d'être emporté(e)s, les un(e)s après les autres, par le vent mauvais d'un cyto-mégalo- virus alors insoignable…

Mais j'ai ri, aussi, ô matador, aux soliloques pertinents et impertinents de la Folle, à ces dialogues fusionnels jusque dans la forme entre Carlos et elle, entre Carlos et lui- les pronoms personnels contribuant à semer l'équivoque et la pagaille- Je me suis délectée des délires cuculs- neuneus ( adjectif super trav'!!) de Lucia, ou paranos d'Augusto, obsédé par l'homosexualité, jusqu'à la caricature ..

Et, oui, j'ai tremblé , ô matador, devant l'horloge implacable de l'urgence, le « timing » de l'attentat-pardon, de l'embuscade- et celui de la traque répressive avec son étonnant chassé-croisé entre chasseurs et chassés…

Et, oui j'ai reconnu dans les personnages de Carlos et de sa belle commandante tant jalousée par la Folle, des silhouettes historiques : le couple de guerilleros, le sémillant Cesar Bunster, du Front populaire Manuel Rodriguez, -cellule « terroriste » émanant du PC chilien- qui échappa à la répression après l'attentat du 7 septembre 1986- comment faut-il vous le dire, que c'est une embuscade ? -, et qui vécut en exil, tandis que sa comparse, la belle et toute jeune commandante Tamara, mourait sous la torture et devenait une icône de la résistance à Pinochet.

Mais j'ai surtout admiré, ô matador : Pedro Lemebel a tout magnifié, transformé –c'est bien le moins pour un artiste qui a fait du travestissement son combat- de sa pétillante imagination, de sa langue magique, de sa verve féconde, pour faire vivre- à notre grand ravissement !- cette faune chamarrée et interlope, dispensant son empathie chaleureuse et ironique sur tous ses personnages…

Mais à présent, je tremble, ô matador : elle est trop vite éteinte, ta chanson !

Elle a un goût d'encore, ô matador !




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Un vent de folie semble souffler en ce printemps 1986 le long de la Cordillère, la Folle d'en Face avec ses yeux de chatte apprivoisée, le Dictateur avec sa mégère - oups sa femme, incessamment bruyante et épuisante.

La Folle, ce travesti au regard vieillissant et à l'âme si romantique, s'éprend de ce beau Carlos, un jeune "étudiant" militant contre le Général Pinochet. Ce dernier part d'ailleurs en excursion pour un week-end avec sa femme, pas encore sorti de la ville qu'il est déjà fatigué, elle ne cesse de lui parler mode, couleurs et chiffons. Que de bruits dans cette ville, entre les cris des manifestants et ceux des fantômes exécutés ou disparus, sans compter les klaxons. Vive la campagne. Une tranche de pâté, mon chéri ? La Folle pose une magnifique nappe sur l'herbe sauvage, toute fleurie, des papillons sur la nappe, jolis papillons qui te picotent l'intérieur de ton âme. Ah c'est beau l'amour, se dit-elle... Un verre de vin, mon amour ? du vin chilien, du beaujolais, les plaisirs d'un pique-nique à l'improviste. Tiens, ce ne serait pas la voiture du Général qui passe, lunettes noires et uniforme tristement gris. Ah c'est beau l'amour...

Dans le Chili du Pinochet, toujours ceinturé dans son costume d'un gris sale, d'un gris cendre, poussière des ombres et des torturés, que tu sois communiste ou pédé, un vent de poésie chuchote pourtant au-dessus des fleurs printanières. Pendant que l'austérité des discours du Dictateur époumone les ondes radios, la Folle d'en face chante, danse, telle une âme poétesse et amoureuse de son beau mâle intrigant. Que c'est beau, ces histoires d'amour, que c'est tendre et papillonnant. Que c'est dangereux, ces envies révolutionnaires, ces esprits littéraires, qu'un char pourrait détruire, qu'un soldat pourrait fusiller. Que c'est triste, l'amour, triste et beau, surtout quand l'âge et le rhum se fait vieillissant.
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critiques presse (1)
LeMonde
14 juin 2023
Entremêlant l’histoire intime et celle d’un pays en mal de liberté, ce classique de la littérature queer bouleverse par la sensibilité avec laquelle il traite des individus vus comme marginaux.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Est-ce que je peux mettre de la musique, torero ? Carlos leva le nez de ses papiers. Une fois de plus la Folle le surprenait avec sa fantaisie baroque. Avec sa maniere de rehausser jusqu'au plus insignifiant des instants. II la regarda, ébahi. Juchée sur un rocher, la nappe constellée d'oiseaux et de petits anges nouée autour du cou, elle posait comme un modèle. Ses lunettes de chatte lui ajoutant de la prestance, elle mordillait coquettement une petite fleur, ses mains gantées de pois jaunes et ses doigts torsadés en l'air dans un geste andalou. II la regarda, amusé, marquant une pause dans son activité. Et ce fut lui qui, décidant de participer à la scène gitane en tant que spectateur, appuya sur le bouton du magnétophone pour la voir tourbillonner et se trémousser, comme s'il devait rester là pour toujours à applaudir les mimiques, les « baisers sorciers » que la Folle lui envoyait en soufflant des cœurs, des mouchoirs cramoisis qu'elle faisait flamboyer près de sa hanche, se cambrant comme une tige, comme une danseuse aux pieds nus, claquant des pieds sur la terre mouillée, sur la mousse verte de vert citron, de vert basilic, de vert que je taime comme les hautes herbes vertes de tant de verte espérance et de noire solitude.
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Avec la suavité d'une geisha, elle sortit de sa bouche et empoigna la tête chauve et luisante, l'observa se dresser devant son visage et, de sa langue baveuse, aiguisée comme une flèche, le chatouilla, dessina son contour mauve. C'est de l'art amoureux, se répétait-elle infatigablement, respirant les vapeurs de male étrusque qu'exhalait ce champignon lunaire. Les femmes ne savent pas faire ça, s'imagina-t-elle, elles se contentent de sucer, alors que les folles exécutent une broderie chantante, jouent une symphonie. Les femmes ne font qu'aspirer, tandis que la bouche de lopette prépare la fiancée, lui envoie d'abord de la vapeur. La folle déguste d'abord, avant de laisser s'exprimer son sens lyrique dans le micro charnel qui diffuse sa libation radiophonique. C'est comme chanter, conclut-elle, interpréter pour Carlos un hymne d'amour qui s'adresse à son cœur. Mais il ne le saura jamais, confia-t-elle tristement à la poupée qu'elle tenait dans sa main et qui la regardait tendrement de son œil de cyclope. Carlos est bourré, il dort comme un loir, il ne saura jamais quel a été son meilleur cadeau d'anniversaire, dit-elle à la marionnette brune, embrassant avec une douceur de velours son petit méat en forme de bouche japonaise. Et, en guise de réponse, le pantin solidaire lui accorda une larme de verre pour lubrifier le chant asséché de sa solitude incomprise.
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Elle ne sortait pas souvent lécher les vitrines, comme disaient ses copines qui habitaient à l'autre bout de la ville. Lupe, Fabiola et Grenouille, ses uniques sœurs tapettes qui louaient une grande maison du côté de Recoleta, près du Cimetière général, dans ce quartier poussiéreux de taudis, d'impasses et de débits de boissons aux coins des rues où ça grouillait d'hommes, surtout des jeunes issus des quartiers pauvres bourrés du matin au soir et qui tournaient au vinaigre sous le soleil. Ivres et sans le sou comme ils étaient, ses copines n'avaient aucun mal à les traîner jusque chez elles et, une fois à l'intérieur, à les gorger de vin rouge pour finir toutes les trois le cul en l'air à partager les caresses baveuses d'un mâle chaud comme la braise. Tu ne sais pas ce que tu rates en ne venant pas plus souvent, ma jolie, la narguait Lupe, la plus jeune des trois, une boute-en train de trente ans à la peau mate, la seule qui pouvait encore se permettre de faire son show et de s'habiller comme Carmen Miranda, avec une minijupe en bananes qu'elle secouait à la face des zonards bourrés pour les réveiller.
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Lucia s’adressant à son mari Augusto Pinochet :

Je ne te reproche jamais d’avoir voulu acheter ce pistolet de Hitler, à Madrid, quand on y était pour les funérailles de Franco. Tu te rends compte, vouloir dépenser trente mille dollars pour une camelote pareille ! Sans compter que tu n’étais même pas certain qu’elle soit authentique… Tu te serais fait avoir comme un benêt de gringo par ces voleurs d’Espagnols.

p. 65-66
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Toutes ces émissions sur le sujet avaient fini par la sensibiliser, par l’émouvoir au point d’en avoir la larme à l’œil chaque fois qu’elle entendait les témoignages de ces femmes à qui on avait arraché un mari, un fils ou un autre parent dans la nuit noire de la dictature. Elle osait à présent dire dictature et non pas gouvernement militaire…

p. 110.
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