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Critique de Seraphita


Années 1920, Chicago. Artie Straus et Judd Steiner sont deux jeunes surdoués à qui la vie sourit : ils sont issus de familles richissimes et bien en vue dans la ville, ils mènent des études brillantes à l'université. Un avenir prometteur leur tend les bras. Et pourtant… Grisés par leur réussite, se raccrochant à une pensée nietzschéenne mal comprise, ils décident de commettre le crime parfait, parfaitement gratuit qui plus est. Ils assassinent donc un petit garçon. Esprits supérieurs ? Pas tant que cela puisque la police va retrouver un premier indice, semé par inadvertance par l'un des meurtriers.

Le crime du siècle ! Tel est le titre de la première partie. L'auteur, Meyer Levin, indique dans un avant-propos, que « le thème de ce livre repose sur des faits authentiques, bien connus aux Etats-Unis : le 21 mai 1924, à Chicago, un jeune garçon de quatorze ans, Bobby Franks, était enlevé et assassiné par deux jeunes gens de dix-huit et dix-neuf ans, Richard Loeb et Nathan Leopold, tous deux étudiants à l'université de Chicago, considérés tous deux comme des prodiges d'intelligence, et tous deux fils de milliardaires. Les meurtriers n'avaient d'autre mobile que de réussir un « crime parfait ». » (p.13)
L'auteur explique qu'il avait le même âge, à l'époque, qu'il était étudiant dans la même université, et reporter au Chicago Daily News, où il a publié des articles lors du procès de ce crime du siècle.
Il a décidé, bien des années plus tard (« Compulsion », titre américain, sera publié en 1956 aux Etats-Unis), de relater ce crime, d'une manière romancée. Ainsi qu'il l'indique lui-même, « bien que l'action soit empruntée à la réalité, il va de soi que les pensées et les sentiments des personnages sont imaginés par l'auteur » (p. 14). Afin de marquer ce caractère fictionnel, il modifie les noms des meurtriers : Richard Loeb devient Artie Straus, Nathan Leopold, Judd Steiner.

Le texte est écrit dans une police minuscule, ce qui au départ m'a semblé déplaisant. Il m'a fallu un temps pour m'habituer à cette écriture assez peu engageante. Mais cette première impression concernant la forme a été dissipée assez vite par le contenu saisissant de la première partie. Meyer Levin me semble user d'un procédé habile, puisque lorsque la première partie commence, le méfait sordide a déjà été accompli, mais le lecteur en ignore encore les détails. En suivant Artie et Straus, dont on découvre progressivement la personnalité trouble, le lecteur va reconstituer, pièce par pièce, le puzzle d'événements qui compose le crime final, selon un procédé de flashbacks.

L'intelligence froide (déconnectée des affects ?) glace le lecteur. Judd se réfère avec complaisance à une pensée nietzschéenne, mal comprise, ainsi que le soulignera son avocat de la défense au cours du procès.
Dans une lettre à Artie, Judd écrit ainsi :
« Pour des êtres de notre espèce, tu le sais, l'erreur est pire que le crime. Je vais donc faire effort pour t'expliquer ma conception de la philosophie nietzschéenne en ce qui te concerne : le surhomme est exempté des lois ordinaires qui gouvernent le commun des hommes. Rien de ce qu'il peut faire ne l'engage, à l'exception cependant du seul crime qu'il puisse commettre : faire une erreur. » (p. 230-231.)

Wilk, avocat de la défense, va reprendre ces idées, ces théories, pour ramener Judd à la réalité de l'existence :
« Sa voix, durcie, se mettait au diapason de l'idée :
Le grand homme, l'homme de grand style, est plus froid, plus dur, moins prudent ; il est libéré de la crainte de l'opinion.
Là-dessus, il s'adressa directement à Judd, comme à un élève borné :
- Cela, c'était un rêve philosophique, nullement destiné à servir une règle de vie ! » (p. 352.)

A crime du siècle, procès du siècle. Ainsi s'ouvre la seconde partie. Si la première partie m'est apparu comme passionnante et haletante (j'avais hâte de découvrir la faille par laquelle allait s'engouffrer la police pour identifier les deux criminels), la seconde m'a semblé plus ennuyeuse et peut-être un peu vieillie. Les joutes oratoires entre la défense et l'accusation souffrent parfois de longueurs, même s'il convient de souligner l'excellent plaidoyer de Wilk contre la peine de mort. Les débats m'ont semblé assez souvent techniques, même si les prises de parole des « aliénistes », basées sur les connaissances en psychologie du début du XXème siècle, m'ont parus intéressants.

Un livre glaçant, à (re)découvrir, dont la postface livre une belle leçon d'humanité.
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