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Critique de Zebra


J'ai acheté « Rendez-vous » après avoir lu la quatrième de couverture : l'histoire de ce déchirement entre Alice, mère sublime et déchue, mère aimante et oublieuse, mère modèle et mannequin qui faisait la une des magazines « people » et Louise, sa propre fille, me semblait d'entrée de jeu intéressante en ce sens que je pensais y trouver une analyse en profondeur des ressorts psychologiques de leur relation. Je me suis donc plongé dans la lecture de ce livre que le format (177 pages) rend très accessible. Je n'ai pas trouvé l'analyse en profondeur que je recherchais mais j'ai été séduit par le récit dont j'ai rapidement deviné l'issue.

Le lecteur a entre les mains un ouvrage écrit par la fille de BHL alors qu'elle avait 20 ans : certains pourront voir, dans ces pages écrites à vif, un énième livre-confession rédigé par quelqu'un de BCBG dans le cadre du business de l »intimité des célébrités de ce monde. D'autres pourront y voir le produit d'une demande de transparence formulée par la société. Il n'y a pas forcément « d'attentat contre la littérature » quand des gens reconnus socialement s'exposent dans des livres. Par ailleurs, ça ne serait pas la première fois qu'on puisse disposer de livres « people », sans que cette appellation présuppose de la qualité de l'ouvrage.

L'auteure dit de ce premier ouvrage (Justine Lévy a écrit plusieurs ouvrages après le « Rendez-vous ») qu'il « avait au moins le mérite de la sobriété » ; elle rapporte même qu'elle est « assez contente d'être allée au bout de ce premier roman : c'était une victoire contre moi-même, mes petites lâchetés, mes renoncements, mes peurs ». Justine Lévy a attendu « que l'écriture vienne à elle, que l'envie d'écrire devienne un besoin, et le besoin une douleur ». Au final, elle trouve que ce livre « n'est pas mal mais un peu trop appliqué ».

Comment juger cette appréciation sans se référer au contenu du roman (à l'histoire) et à l'intention du livre ?

Concernant l'histoire, les choses sont assez simples : Louise et Alice ont rendez-vous dans un café à Paris, Alice tarde à venir et pendant cette attente (de 15h00 à 21h00) Louise est envahie progressivement par des souvenirs gais ou douloureux qui remontent parfois à prime enfance. Parmi ses souvenirs, il y a celui du père de Louise, qui était avant leur divorce le mari d'Alice. Il se trouve que Louise ressemble beaucoup à son père : cette image renvoyée en permanence à Alice devient rapidement perturbante au point qu'Alice mette suffisamment Louise mal à l'aise pour que celle-ci fasse une fugue. A ce stade, Alice -qui avait déjà perdu son mari- perd sa fille et se lance dans une vie « de bohème et de désordres » complètement débridée : voyages à Kuala Lumpur, amants multiples (tout en veillant qu'aucun d'entre eux ne s'installe dans la durée, ce qui rappellerait trop l'image de l'ex.), drogue douce puis drogue dure (les seringues finissent par joncher le sol du salon), aventure amoureuse prolongée avec Sophia, lesbienne en mal d'affection avec laquelle elle sort regarder des films classés X, nuits passés tantôt ici, tantôt là ce qui l'amène à confier la garde de Louise à de multiples « nounous » occasionnelles jusqu'à une overdose à laquelle Alice manque de succomber ! Et Louise dans tout çà ? Oscillant « entre gaîté et douleur », Louise mène une vie chaotique, tentant sans y parvenir réellement de se réapproprier sa mère d'origine, son Alice d'avant le divorce (elle va même jusqu'à inonder son plat de ketchup pour faire comme sa mère). Épreuve difficile s'il en est mais qui devrait être facilitée par le rôle de parent dans lequel s'investit Louise : c'est Louise qui fait transporter sa mère à l'hôpital suite à son overdose, c'est Louise qui rend visite à sa mère alors qu'elle purge une courte peine de prison pour vol à l'étalage. Mais ces difficultés sont trop importantes pour Louise qui, à son tour, tente un suicide en avalant une pleine poignée de pilules de sa mère. Tiraillée entre la dette qu'elle a envers sa mère, la rancune qu'elle ressent envers une mère qui se plaisait dans une attitude de fuite irresponsable (« Maman, je te déteste de t'aimer tant »), culpabilisant à l'idée de n'avoir pas réussi à empêcher le divorce de ses parents, souffrant du peu de temps que lui consacrait son père (lire à cet égard la page 75), courant désespérément après le bonheur traditionnellement dévolu au monde de l'enfance, Louise effectue une manière de pèlerinage en se rendant, plusieurs années après ces événements, au lieu où elle avait rendez-vous avec Alice, sa mère. A cette date, Louise (qui est devenue grande au fil des pages) a noué une relation stable avec un homme : elle se sent donc assez forte pour affronter ses souvenirs, régler ses comptes avec son passé et repartir sur de bonnes bases.

Quant à l'intention de ce premier roman, elle me paraît assez claire : Louise, en fait Justine Lévy, utilise le procédé de l'auto-fiction pour remporter une victoire contre elle-même, contre ses petites lâchetés, contre ses renoncements et ses peurs. La fille de BHL a vécu le divorce de ses parents comme une situation douloureuse, pour ne pas dire traumatisante : elle règle donc grâce à ce premier roman ses comptes, entamant de fait une saine entreprise de reconstruction psychologique. le divorce a des conséquences connues sur les enfants : perturbation, agressivité, troubles caractériels (fugue, violences …). L'enfant reproduit l'agressivité de chacun de ses parents à l'égard de l'autre : dans certains cas (et c'est ce qui arrive à Louise), ceci peut conduire à un comportement suicidaire (surtout chez les jeunes de 15 à 20 ans). Les enfants qui s'accusent d'être à l'origine du divorce de leurs parents (c'est probablement le cas de Louise) peuvent ressentir de la culpabilité et de la honte. Les filles réagissent souvent par la dépression, l'anxiété et le retrait. Garçons comme filles, tous craignent que l'autre adulte s'en aille. Les pédiatres constatent chez tous les enfants de divorcés un hyper-investissement intellectuel, comme s'ils cherchaient à se fondre dans le moule de l'enfant modèle parfait tel que l'adulte en rêverait. Généralement, ces enfants entrent vite dans la maturité de l'âge adulte ; certains reproduiront hélas la même situation familiale que celle qui aura été vécue dans leur enfance, sans que l'on puisse en déduire qu'il y a persistance à long terme des effets socio-émotionnels du divorce sur la personnalité du jeune adulte.

Le livre est touchant, plaisant, lucide, bien écrit (encore faut-il ne pas être allergique aux flash-backs). Les émotions (belle remontée d'innocence), les blessures et le détachement sont réels. le ton est léger même si le sujet est grave. le style est percutant, alerte et sans détours : il n'y a pas de place pour de longues introspections. le dénouement est malheureusement sans surprise. Sans voyeurisme aucun, vous évoluez dans l'intimité attachante de l'auteure, avec complicité, pudeur et tendresse. Bref, un livre plutôt sobre et de qualité.
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