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Critique de nicolaslaruaz


Une vieille histoire est un exercice de style, de la littérature comme il n'en existe presque plus de nos jours.

Un personnage, aux contours indéfinis (sexe, âge), à la personnalité floue et à l'histoire inconnue, sort d'une piscine, entre et court dans un couloir sinueux, passe des portes pour vivre une situation humaine, généralement une histoire de sexe, de guerre ou de famille, faite de violence et de domination (subie ou active), puis reprend le couloir pour passer d'autres portes, jusqu'à replonger dans la piscine.

Ce schéma, réalisé 7 fois (pour 7 chapitres), se répète dans la structure sans que les fragments d'histoire racontées ne soient redondantes, malgré l'abondance de détails, d'échos qui se répondent et dialoguent entre chapitres et même entre histoires au sein des chapitres. Vous les repérerez très vite: le chignon de la femme blonde, la pomme, le chat gris, le dessus de lit représentant des feuilles vertes sur un fond doré, les cicatrices sur le corps: ces motifs récurrents mais jamais répétés à l'identique semblent d'abord anodins, mais prennent au fil des chapitres des charges nouvelles - ou du moins le lecteur face à la variété des situations leur attribuera par tâtonnement une charge symbolique différente. Une deuxième voire troisième lecture du roman s'imposerait pour bien se faire une opinion de toute la richesse de ces symboles.

Jusqu'à présent, quelqu'un qui n'aurait ni lu ni même été renseigné sur le livre doit trouver cette description très générique. Mais le propos du livre est si universel, la liberté d'interprétation du lecteur si totale qu'il ne peut en être autrement. le style lui-même symbolise cette gêne, étant à la fois extrêmement précis dans les descriptions des moindres objets, des moindres gestes, mais rigoureusement générique dans la description de la situation elle-même: jamais un nom n'est mentionné, pas un nom de personne ou de ville, de pays, de lieu, de marque ne peut être retrouvée dans ce livre - à l'exception du Don Giovanni de Mozart. Seuls la description de quelques objets historiquement datés (gramophone, automobile) nous montrent que l'histoire doit se passer quelque part entre le XXe et le XXIe siècle.

L'on ne sait que peu de choses des personnages ; on le devine péniblement au fil des pages de chaque chapitre, comme plongés dans une obscurité presque totale, ne distinguant des contours qu'au bout d'une heure d'adaptation. Cette adaptation à peine commencée, le protagoniste rentre dans le couloir, ouvre une porte, se change dans le vestiaire et replonge dans la piscine ; c'est la fin de l'histoire - de sa vie de personnage.

De même, si les lieux, les situations voire les époques se devinent - guerre civile en Afrique noire, camp de concentration, narco-criminalité à la frontière américano-mexicaine -, jamais ils ne sont eux-mêmes décrits, commentés ou approfondis. Les personnages débarquent littéralement dans les situations, après avoir ouvert une porte, au hasard, dans le fameux couloir gris dans lequel ils courraient, et les subissent - généralement -, ou, quand ils sont plus chanceux ou violents, la maîtrisent et se contentent d'agir à leur guise, selon une logique absolument opaque.

Cette écriture montre magistralement ce que peut dire la littérature sur les situations les plus universelles de la vie, dont le sexe et la guerre, sans le vernis du contexte, du social, et de la psychologie : la pure brutalité des faits.
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