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Critique de 5Arabella


La comedia espagnole est avec le théâtre élisabéthain et le théâtre classique français l'un des trois grands théâtres européens nés suite aux bouleversements de la renaissance. Mais il est le moins connu et le moins joué des trois. Shakespeare, Molière, Racine voire un peu Corneille sont étudiés, joués, admirés, même si ce ne sont que certaines de leurs pièces et que leurs contemporains souvent passionnants, sont oubliés. Mais la situation est encore moins favorable pour les auteurs espagnols de la même époque, seuls quelques titres sont de temps en temps donnés, presque comme des curiosités, alors que ce théâtre a inspiré tout ce qui se faisait en Europe de son temps. Un corpus de plus de 10 000 pièces nous est parvenu pourtant, petite partie de ce qui a été jouée en Espagne au XVIe et XVIIe siècle, ce qui montre à quel point ce théâtre a été prolifique et populaire.

Lope de Vega est un des grands auteurs de ce théâtre, l'un de ceux dont le nom a passé les siècles et dont quelques pièces continuent à être jouées parfois. Il résume assez bien la vitalité de la littérature espagnole de l'époque : il aurait écrit un nombre imposant de pièces, plus de 1000 (certains vont jusqu'à 1800), dont il reste environ 450. Et n'écrivit pas que du théâtre : romans, nouvelles, proses diverses, sans oublier la poésie, ont coulés de sa plume. Evidemment une telle abondance pose la question de la qualité : était-il juste un graphomane, répondant à une demande dans une forme d'immédiateté, sans réel soucis de la valeur des ses écrits, de perfection formelle qui aurait pu lui permettre de bâtir une oeuvre capable de survivre à son époque ? Ou malgré l'abondance de sa production a-t-il pu produire quelque chose de valeur qui puisse encore nous toucher, nous parler malgré les siècles ? Les possibilités de répondre à cette question sont rares, les pièces de Lope de Vega accessibles sont relativement limitées, et la question de leur représentativité se pose : on suppose bien sûr que ce sont les meilleures qui ont été traduites et qui sont jouées.


Pedro et le commandeur appartient au genre de comedias dites rustiques, qui mettent en scènes des paysans, et cela d'une façon non anecdotique, sans les ridiculiser systématiquement. A l'origine de la pièce, quatre vers d'une romance traditionnelle dont il ne reste que ces vers :
J'aime mieux mon Peribañez/Et sa cape de bure grise /Que vous commandeur /Et votre cape dorée.

La pièce commence dans un village, Pedro un paysan aisé épouse Casilda, les deux jeunes gens sont très amoureux. Mais le mariage est perturbé : un grand seigneur, don Fadrique (le commandeur du titre) est blessé par un taureau qu'on devait faire courir à l'occasion du mariage et qui est devenu furieux. Soigné par Casilda, le seigneur en tombe amoureux dès le premier regard. Mais Casilda est fidèle et ne veut pas tromper son mari. le commandeur va avoir recours à des ruses, il est poussé à la séduction par son serviteur Lujan, qui se rapproche d'une cousine de Casilda, Constance, qui essaie de convaincre Casilda de céder au commandeur. Mais Casilda reste inflexible. En désespoir de cause, sous prétexte d'une récompense, le commandeur fait donner à Pedro une charge militaire, qui doit donc partir. Mais il revient la nuit, et surprend le commandeur en train de tenter de violer Casilda. Pedro le tue, le commandeur lui pardonne. Mais la justice du roi n'est pas aussi bienveillante, et met à prix le tête de Pedro. Ce dernier préfère se présente au Roi pour s'expliquer, accepte sa condamnation et demande au Roi de remettre la récompense promise pour le livrer à sa femme. Devant la noblesse de Pedro, le Roi bouleversé, lui accorde son pardon et la récompense promise à Casilda en prime.

La pièce est assez simple dans son déroulement et son intrigue. Il y a un côté pittoresque, notamment dans les scènes du mariage, et les chants paysans. Les personnages ne sont pas simplifiés à outrance : don Fadrique se rend compte que son comportement n'est pas défendable, mais il est pris par la passion amoureuse, ce qui tire la pièce vers une forme de tragédie, malgré les aspects comiques et familiers. La noblesse se trouve aussi bien chez les puissants que chez les paysans. Mais la pièce, malgré certaines lectures, défend la hiérarchie sociale en place : les méchants de l'affaire sont Lujan et Constance, c'est à dire des manants. Don Fadrique fait le mal malgré lui et pardonne à Pedro qui l'a tué. Et c'est au final le Roi, qui conclut la pièce en accordant son pardon à Pedro. La morale de l'affaire est quand même qu'il faut faire confiance à l'organisation sociale, même si certains se livrent parfois à des abus, au final la justice peut être rétablie à un niveau supérieur. Plutôt que de se révolter, il vaut mieux monter à l'échelon supérieur, puisque le souverain est juste et humain par définition.

La pièce est incontestablement efficace dramatiquement, jouant sur plusieurs registres, entre comique et dramatique, voire tragique. Mais je ne suis pas sûre qu'elle puisse donner lieu à des lectures multiples, et demande sans doute pas mal d'imagination au metteur en scène pour trouver un angle vraiment original.
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