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Critique de dido600


Amin Maâlouf retrace la vie tumultueuse d'un homme, parmi les hommes, «venu du pays de Babel, disait-il, pour faire retentir un cri à travers le monde», et ajoutant, avec le dépit de toute sa conscience naïve, «Au milieu de ces hommes, j'ai cheminé avec sagesse et ruse...»
Mais qui est ce personnage dont l'histoire semble se perdre dans la nuit des temps et dont le seul nom «Mani» demeure sur les lèvres pour exprimer, à l'emporte-pièce, une tendance gnostique souvent douteuse, et donc étrangère à l'authentique philosophie religieuse fondée sur la connaissance inspirée particulièrement du zoroastrisme, du bouddhisme et du christianisme? Cependant, sans entrer dans le détail de cette philosophie qui fit du personnage de Mani, en son temps, le messager de tous les défis t «le temps n'est que le fût où les mythes mûrissent» , «ses fidèles, observent notre auteur et les chroniqueurs chez qui, il a puisé abondamment, se jurèrent de ne plus l'appeler autrement que «Mani-Hayy», Mani le-Vivant. Termes devenus inséparables dans leurs récits comme dans leurs prières, au point que les Grecs n'entendront qu'un mot unique qu'ils transcriront «Manikhaios». D'autres disant «Manichaeus» ou encore «Manichée» (...) de ses livres, objets d'art et de ferveur, de sa foi généreuse, de sa quête passionnée, de son message d'harmonie entre les hommes, la nature et la divinité, il ne reste plus rien. de sa religion de beauté, de sa subtile religion du clair-obscur, nous n'avons gardé que ces mots «manichéen», «manichéisme» (...) Car tous les inquisiteurs de Rome et de la Perse se sont ligués pour défigurer Mani, pour l'éteindre. En quoi était-il dangereux qu'il ait fallu le pourchasser ainsi jusque dans notre mémoire?»
Amin Maâlouf, avec Les jardins de lumière ne fait pas seulement le récit des «aventures» de l'homme à la jambe torse, il en fait une passionnante analyse sociologique, et forcément très humaine, Mani est né dans un pays où les dieux sont nombreux, ont des yeux, des oreilles et une langue terrible. Ils sont sans âge et infaillibles, tout comme le sont aussi nécessairement leurs serviteurs, tels que Sittaï de Palmyre, le maître et guide des Vêtements-Blancs de la Palmeraie et qui se présente toujours en ces termes: «Je suis un chercheur de vérité!». Il sera «le voleur» de Mani qu'il arrachera «en douceur» à ses très jeunes parents. Mani est né d'un père nommé Pattig, portant «dans le regard une candeur enfantine», fils de la haute noblesse parthe, originaire d'Ecbatane, et de Mariam, une jeune femme dont la Médie est la patrie d'origine et qui appartient à la noble famille des Kamsaragan (dont plusieurs membres furent massacrés par les Romains), plus noble et plus ancienne encore qui fut associée au règne des Parthes.
Il est né à Mardibu, un village non loin de la ville de Ctésiphon, métropole du pays de Babel et résidence des rois parthes. Ici commence l'histoire de Mani. Notre auteur écrit: «L'histoire de Mani commence à l'aube de l'ère chrétienne, moins de deux siècles après la mort de Jésus. Sur les bords du Tigre s'attardent encore une foule de dieux. Certains ont émergé du déluge et des premières écritures, les autres sont venus avec les conquérants, ou avec les marchands.»
Dès lors, le roman va se développer comme une suite d'événements programmés montrant progressivement la naissance d'un être exceptionnel. Sa foi en l'homme sera sa priorité exercée comme un sacerdoce: sa raison de vivre. Il sera le peintre, puis le médecin, puis le prophète d'une société pour laquelle, il essaiera de construire un monde profondément humaniste. Cependant, son discours, sans cesse inspiré, s'enflamme, se précise: «...aux commencements de l'univers, deux mondes existaient, séparés l'un de l'autre: le monde de la Lumière et celui des Ténèbres. Dans les Jardins de Lumière étaient toutes les choses désirables, dans les ténèbres résidait le désir, un désir puissant, impérieux, rugissant. Et soudain, à la frontière des deux mondes, un choc se produisit, le plus violent et le plus terrifiant que l'univers ait connu. Les particules de Lumière se sont alors mêlées aux Ténèbres, de mille façons différentes, et c'est ainsi que sont apparus toutes les créatures, les corps célestes et les eaux, et la nature et l'homme... En tout être comme en toute chose se côtoient et s'imbriquent Lumière et Ténèbres. Dans une datte que vous croquez, la chair nourrit votre corps, mais le goût suave et le parfum et la couleur nourrissent votre esprit. La Lumière qui est en vous se nourrit de beauté et de connaissance, songez à la nourrir sans arrêt, ne vous contentez pas de gaver votre corps...»
Toutefois, de tels discours ne tarderont pas à provoquer l'irrémédiable. L'ignorance, le fanatisme, l'intolérance, la trahison, les excès du pouvoir, la haine, l'envie malsaine, tout cela et d'autres choses que toute une vie ne pourrait connaître, et même la vérité qui est dite et qui n'est pas bonne à dire, livrent au supplice des fers, tuent les rois et les princes, les dominateurs et les dominés, les croyants et les non-croyants, les fidèles et les infidèles... Bientôt «le fils de Babel» est banni, puis, il est arrêté et jeté dans une prison dans les quartiers de Beth-Lapat. le prophète est persécuté. Il subit un affreux martyre: «Une lourde chaîne scellée autour du cou, trois autres autour du buste, trois à chaque jambe, et trois encore à chaque bras...Sous le poids, sa vie allait s'épuiser goutte à goutte...Au vingt-sixième matin s'acheva le dernier acte de sa passion...C'était en l'an 584 des astronomes de Babel, le quatrième jour du mois d'Addar pour l'ère chrétienne le 2 mars 274, un lundi, la passion de Mani se confond depuis, avec la nôtre.»
Et Amin Maâlouf de conclure: «Ce livre est dédié à Mani. Il a voulu raconter sa vie. Ou, ce qu'on peut en deviner encore après tant de siècles de mensonge et d'oubli.» Pour l'auteur, comme pour nous, Les jardins de lumière constituent un témoignage fort et juste sur un espoir humain brisé par la haine et la sottise malfaisante des inquisiteurs de tous les temps.
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