Dans un esprit fraternel mais sans échanger de propos, chacun se livrait à ses plus beaux rêves, attendant la petite traction, au bout de la ligne, qui enverrait une onde soudaine de plaisir dans ses veines.
Le cadre glissa sur les couvertures et alla tomber sur le tapis en bouclette. Son esprit reprit son vagabondage, remontant dans le temps, de plus en plus loin, dégringolant au milieu d'un crépuscule doux-amer de souvenirs.
Un petit bateau à moteur avec deux hommes à bord bouchonnait sur l'océan paisible, dont la surface se parait des premiers scintillements d'une aube qui prenait tout son temps pour venir.
Arnold haussa les épaules. “Personne n'aime reconnaître ses erreurs et ses fautes. On préférerait tous être des héros.”
Convaincre Margo Hofsteder n'avait pas été une mince affaire. La patronne du motel avait émis toutes sortes de réserves sur la chambre 173, disant tour à tour que la police n'avait peut-être pas terminé, qu'elle portait malheur. "Ce n'est pas le lieu du crime", lui avait fait remarquer Phyllis - refrénant son envie d'ajouter "espèce de gourde".
Elles gardèrent le silence. Au bout d'un moment, Karen entendit le rythme lent de la respiration de quelqu'un qui dort, et dont la poitrine se soulève et retombe avec régularité. Elle passa délicatement un bras autour de son enfant endormie. Leur fille. Elle aurait aimé pouvoir le haïr. Seulement le haïr. Le chasser de son coeur de la même manière qu'il avait fui la maison. L'aimer, cependant, était une habitude trop ancienne en elle.
L’adolescente était assise sur une chaise de la salle à manger, les bras croisés, le menton tendu, tremblant légèrement. Karen se tenait devant les portes à la française et regardait sans les voir les fleurs de son jardin, ravalant ses larmes. Elle avait l’estomac noué à en avoir mal.
« Je te l’ai déjà dit ! Je ne savais pas qu’elle était journaliste.
- Tes explications, on les entendues », répliqua Greg d’un ton écœuré ; il frappa le plateau brillant de la table en merisier avec le journal. Il avait littéralement poursuivi sa fille à travers toute la maison, brandissant le journal, et ils avaient atterri dans la salle à manger. Sans les chandeliers, la nappe, l’argenterie, la porcelaine et la nourriture, la pièce dégagerait une froideur qui paraissait convenir à l’atmosphère.
« C’es vrai, je ne le savais pas ! répéta Jenny.
- Tu te trompes, si tu crois nous rassurer avec l’idée que tu es capable de raconter toutes ces choses au premier étranger venu, pourvu qu’il ne soit pas journaliste !
- Je dois partir, intervint Karen d’un ton raide. J’ai un cours à donner. Conduiras-tu Jenny à l’école, Greg ? Elle a manqué le bus.
« Comment as-tu pu faire une chose pareille ? tonna Greg, brandissant le journal du mati devant le visage de Jenny. Tu es complètement folle, ma parole ! »
« J’ai la preuve. Ton certificat de naissance. Dans mon sac. », reprit Linda sur un ton d’excuse. Elle voulait le prendre, mais le bouquet de fleurs et la boite aux couleurs brillantes la gênaient. Elle tendit les objets vers Jenny. « C’est pour toi. » L’adolescente ne bougea pas de son perchoir, au milieu de l’escalier.
L’adolescente se tourna tout d’abord vers sa mère, puis vers son père, qui se tenait, rigide, dans l’embrasure de la porte donnant dans le séjour, le visage vidé de toute couleur. Karen mesura, dans les yeux de Jenny, l’étendue de sa stupéfaction. Elle cherchait une explication auprès de ses parents, une réponse, comme le font toujours les enfants. Dis quelque chose, s’encouragea mentalement Karen. Fais quelque chose. Mais elle n’était capable que de contempler l’intruse d’un œil rond, impuissante.