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Critique de Deleatur


Comme on le sait, les ouvrages les plus importants de Machiavel n'ont paru qu'à titre posthume. C'est peut-être de là que vient d'ailleurs leur ton si incroyablement libre et acéré, tant il est vrai qu'être déjà mort revêt un certain côté pratique lorsqu'on veut échapper à la susceptibilité de ceux que l'on aurait froissés. Il me semble que notre classe politique tout entière pourrait puiser là un sage exemple : la postérité se montrerait sans doute plus indulgente face aux invraisemblables tombereaux de conneries dont nous sommes chaque jour affligés. Brassens déjà ne soulignait-il pas que les morts ont l'avantage d'être tous de braves types ? Mais je me disperse.

L'originalité de L'Art de la guerre dans l'oeuvre de Machiavel est donc d'être paru du vivant de son auteur. Je ne prétends pas que la corrélation soit si simple mais de fait, j'aurais grand mal à tenir cet ouvrage honorable pour indispensable. Soyons francs, en plongeant dans ces pages, j'espérais me frotter à une audacieuse théorie de la guerre, voire à sa philosophie, bref j'attendais quelque texte pionnier qui aurait annoncé des oeuvres aussi fondamentales que celles de Clausewitz ou du général De Villiers. Il n'est cependant pas question de cela ici : sous la forme d'un dialogue entre un vieux capitaine d'armées et une poignée de nobles godelureaux, Machiavel ne nous propose en réalité qu'un traité pratique de la guerre au début du XVIème siècle. Les considérations sont même parfois si pragmatiques que je me suis cru à plusieurs reprises devant une sorte de manuel du sous-off interarmes édition 1521.
Je caricature, bien évidemment.
Les considérations tactiques de Machiavel et les exemples qu'il tire de l'Histoire sont loin d'être inintéressants, et j'ai par exemple beaucoup apprécié la lecture du livre Septième, consacré aux techniques de siège et de défense des villes. Bien sûr aussi, la belle et instructive préface d'Harvey Mansfield montre que l'ouvrage ne fait réellement sens que si on lui applique une lecture politique dans le contexte de la Renaissance. Et de même, la prééminence que Machiavel accorde à l'infanterie sur la cavalerie témoigne bien de la fin du Moyen-Âge, en renvoyant une bonne fois pour toutes les gloires de la chevalerie au musée.
Mais enfin, lorsque paraît L'Art de la guerre, cette évolution est déjà perceptible depuis un bon siècle et il eût été bien surprenant de n'en rien savoir, morbleu ! A mon niveau de béotien, je n'ai pu m'empêcher de penser que Machiavel avait ici quelque peu raté le coche de la modernité : la guerre, quand on l'écoute, ce ne sont que fantassins tout hérissés de piques et d'épées, savamment organisés sur le champ de bataille. Certes, ce schéma est alors promis à un bel avenir, mais l'inconvénient est que les fantassins de Machiavel renvoient un peu trop à ceux de l'Antiquité : l'artillerie n'est citée qu'à l'occasion, et la mousqueterie simplement mentionnée au détour d'une page, comme autant d'innovations fâcheuses et anecdotiques qui viendraient mettre à mal la science millimétrée de la manoeuvre militaire. En un mot, si l'auteur s'extrait de la pensée médiévale, c'est pour ployer sous les références écrasantes des légions romaines et des phalanges grecques.
Machiavel, en somme, aurait sans doute fait un Prince redoutable mais probablement pas un immense stratège.
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