- Je te maudis !
- Je me félicite que nous ayons les mêmes sentiments l'un envers l'autre.
À plusieurs milliers de pieds d'altitude, le Secteur 45 ressemble à un jeu de société incomplet. À cette distance, le monde paraît petit et surmontable, tel un comprimé que l'on pourrait avaler tout rond. Mais je me garde de cette illusion et c'est là, au-dessus des nuages, qu'enfin je comprends Icare. Comme lui, j'ai la tentation de m'approcher trop près du soleil. Seule mon inaptitude à l'utopie me permet de garder les pieds sur terre. Je respire donc un bon coup et me remets au travail.
J'ai très peur de me noyer dans l'océan de mon propre silence.
Le vent qui m'enveloppe me chahute, m'entraîne dans sa danse, met de la folie dans mes cheveux, et je me blottis contre lui, je me perds en lui, j'ouvre la bouche pour l'accueillir.
Moi qui ne bois pas, ce boulot me saoule.
Tout ce que j'ai été, tout ce que je suis, je le dois à la conjugaison de leur action et de leur inaction.
Ces derniers temps, je ne suis plus moi-même.
En vérité, j'ai l'impression de ne plus être moi-même depuis bien longtemps et je me demande même si je l'ai été un jour.
Je ne me réveille plus en criant. Je ne me sens plus mal à la vue du sang. Je ne tremble pas avant de faire usage d'une arme.
Plus jamais je ne m'excuserai d'avoir survécu.
- Mais qu'est ce qui t'arrive ?
Aussitôt, il saisit mon bras, les jambes flageolantes, et m'avoue :
- Si tu savais J.! Je crois que je suis amoureux.
Je fais la sourde oreille.
- Non, sérieux, reprend-il, c'est a ça que ça ressemble ? Parce que je n'ai jamais été amoureux avant, alors je ne sais pas si c'est de l'amour ou si c'est, disons une intoxication alimentaire.
- Tu ne la connais même pas, rétorqué-je en levant les yeux au ciel. Du coup, j'opterais plutôt pour l'intoxication alimentaire.
Les imbéciles sont hautement inflammables, mon cœur. Envoie-les tous rôtir en enfer.