Il n'est que la peur de la mort et l'angoisse d'être qui inspirent les religions, se dit-elle. Par nature, l'homme cherche à apaiser son fardeau, même si ces solutions sont illusoires.
Elle s'attacha à faire de cette minute un temps d'aveuglement, comme on l'avait fait en ce temps-là dans toute l'Europe. D'abord en Allemagne, lorsqu'on installa Hitler au pouvoir et qu'on le laissa s'emparer des institutions, qu'on devint complice de ce rapt de la démocratie, et ensuite dans le reste des pays occidentaux, où l'on préféra tourner le regard ailleurs, et finalement s’accommoder de l'innommable.
Je la veux,dit-elle.Ce sera mon seul héritage.
Oh non, me dis-je, ils ne feront pas de moi une recluse. Qu'y puis-je si l'Allemagne a envahi la France? Si le gouvernement de Vichy s'est allongé devant l'ennemi? Je n'ai pas collaboré avec ces gens. Je n'ai jamais émis la moindre opinion en public. C'est ainsi, dans le climat de terreur qui monte, ce Thermidor des Français entre pétainistes et réfractaires, chacun se trouve enrôlé et doit choisir son camp, même si on ne le veut pas, même si on le refuse de toutes ses forces, par l'inertie, le silence, le mépris ou que sais-je encore.
Autant il est indifférent d'étudier une histoire pour laquelle nous n'avons aucun intérêt intime, autant il est scabreux de fouiller dans la sienne propre, ne sachant si l'on en sortira indemne, conforté ou blessé.