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Critique de Ingannmic


Le narrateur-témoin de cette histoire est un vison, qui à l'occasion se transforme en oiseau. Il y est d'abord question d'une maison longue* en ruine, abandonnée, abritant de jeunes squelettes en colère. de vieux squelettes y sont aussi présents, pour mitiger cette colère et tenter de repousser la menace du serpent. Ce dernier a deux têtes, respectivement prénommées Constance et Tourment. Il est à la recherche de "quelqu'un à se mettre sous la dent", d'une âme à investir du mal.
Ce préambule vous cueille à froid ? Vous vous sentez déjà perdus ? Eh bien c'est exactement ce que j'ai éprouvé en entamant ce titre noté chez Marie-Claude, dont la dimension fortement symbolique mais surtout absconse m'aurait vite fait jeter l'éponge s'il n'avait pas bénéficié de sa caution. le fait qu'il s'agisse par ailleurs d'une lecture commune était un argument supplémentaire pour persévérer.

Heureusement, le texte devient ensuite plus accessible, plus concret, bien qu'un autre -mais dernier- interlude très métaphorique ait de nouveau failli vaincre mon obstination à un tiers environ de l'ouvrage.

Mais venons-en à la Celia du titre. Celia qui s'intègre tout naturellement dans la dimension surnaturelle qui ouvre le récit, puisqu'elle a un don, celui de voir ce que les autres ne voient pas, d'être perméable aux voix des défunts. Mais ses hallucinations, les scènes du passé qui lui viennent en visions fractionnées l'effraient. Comme coincée à l'intérieur d'elle-même, "enfoncée dans son propre bourbier jusqu'au cou", sa différence l'isole de ses proches et de sa communauté. Elle doit de surcroit affronter le deuil de son fils, qui s'est récemment suicidé.

Un tragique événement va lui permettre de se révéler, de démontrer son utilité au sein de sa famille. Autour du calvaire d'une petite fille, les membres de son clan confrontent leurs doutes et unissent leurs forces pour la sauver. Celia renoue à cette occasion les liens avec sa Moma, qu'une incompréhension mutuelle avait distendus ; elle trouve les mots pour que Stacey, sa soeur aînée, pilier de la famille, s'autorise à vivre selon ses désirs ; elle guide son neveu Jacob, qui a hérité de son don de voyance, sur la voie qui lui permettra de l'apprivoiser…

A travers la famille de Celia, c'est le portrait d'une communauté en plein désarroi, d'un peuple déchiré entre son identité perdue et un monde moderne qui lui est en partie refusé, que dresse Lee Maracle.

On a détruit leur environnement. On les a détournés de leur savoir en leur interdisant de s'en servir. On a mis leur vie dans des musées qu'ils ne visitent pas. Seuls des fragments de leurs connaissances ancestrales ont survécu : la dernière maison longue a été brûlée dans les années 1920, leurs intérieurs ont été vidées des odeurs familières de cèdre et de pin, pour être remplacées par celles de l'homme blanc. le vote a remplacé les discussions et le dialogue. le silence a tué l'espoir et la confiance en soi-même et dans les autres. Après celle de grippe, qui les a décimés dans les années 1950 en laissant les survivants épuisés, surviennent de nouvelles épidémies à combattre : le suicide et la violence.

Des enseignements seraient pourtant à tirer de leur mode de vie en partie disparu, de leur communion avec la nature, de leurs connaissances du langage animal et de l'utilité des plantes, du rôle primordial que tiennent les femmes et les aînées dans cette communauté.

L'acceptation de la dimension surnaturelle du monde est aussi une partie intégrante de ce peuple, et s'accompagne de l'importance du questionnement existentiel qui doit mener chacun sur la voie de ce qu'il est, sur la pertinence de ses choix, sur sa capacité à la résilience. Des armes nécessaires pour relever l'immense défi consistant à concilier modernité et tradition, à se réapproprier les héritages du passé pour se retrouver soi-même sans se laisser détruire par la colère.

"Le chant de Celia" est, vous l'aurez compris, un roman très riche. Bien que déstabilisée par sa première partie à la trame narrative décousue et au propos quasi incompréhensible, je dois dire que j'en garde une empreinte très forte, comme le souvenir d'une rencontre inoubliable et bouleversante.

Bref : envoûtant.

*Une maison longue autochtone est une habitation traditionnelle des peuples des Premières Nations d'Amérique du Nord.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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