Nous lisons : le capitaine Fracasse dégaine à trois pas de nous, Don Quichotte délire près des hautes portes et la princesse de Clèves, roide, glisse sur le sol de terre battue. Sa robe bruit en frôlant le panneau d'un lit. Grand-père n'aurait pas dû renoncer à ses livres ! Nous donnerions volontiers tout ce qu'il dédaigné, et le peu qu'il a conservé, pour ces volumes aux pages jaunies Nos lits pour les Fables de La Fontaine, nous coucherons sur le parquet. La table de la cuisine pour les aventures des Fenouillard, nous mangerons sur nos genoux. Nos vestes pour ces récits de voyage et nos chemises, toutes, pour ce recueil de poésies, nous irons nus...
À ces moments-là le roi n'était pas notre cousin, et quelque chose qui ressemblait au bonheur dansait dans les flammes de l'âtre. Je riais, en croquant des noisettes. J'étais déjà douée pour le rire.
Et j'allais pouvoir exercer ce précieux talent un peu plus tard,quand me serait livrée, bribe à bribe, l'histoire de mon grand-père.
C'est Ariane et je l'aime. Bien sûr que je l'aime. Je l'aime, n'est-ce pas ? Quelque chose de chaud s'est tissé d'elle à moi au cours des mille et mille nuits que nous avons vécues côte à côte. Quelque chose aussi, en moi, ressemble à ce qui la dévore vive. Assagi, contenu, mais présent : c'est de cela surtout que j'ai peur, et pas d'elle, bien que je ne le sache pas encore clairement.
Nous quittons le hangar par le toit à la queue leu leu, en essayant d'imaginer un moyen d'accès qui soit plus aisé. Mais tout en parlant d'échelle nous ne pensons qu'à une chose, une seule : revenir, vite. Demain, à l'aube, cette nuit. Revenir. Fouiller et toucher. Ouvrir, démonter, jouer, lire, comparer, soupeser, savoir, comprendre... Grand-père a bien jugé le pouvoir des objets : il est grand , et redoutable. Les montagnes ce soir, autour de la vallée, ne nous protègent plus du monde, elles nous en privent, et je voudrais, je voudrais...
Je fagotais donc, tous les jours, été comme hiver, quel que soit le temps, sans répit. Brindilles et bûchettes et rameaux. Hue donc ma fille. Chacun doit accomplir son destin ici-bas et le mien m'était clairement indiqué. Si Camille n'avait pas trait la chèvre nous n'aurions pas eu de lait à boire le matin et si je m'étais croisé les doigts nous aurions eu froid le soir : tout était en ordre. Je liais mes brassées de branchages d'une main preste, je les calais contre mon ventre et j'allais les entasser dans la salle de musique, sans me plaindre.
Ariane a grandi dans un désert de pierrailles et moi sous l'ombre douce d'un parc Nous étions ensemble pourtant C'était le même sol L'une de nous ment, ou se trompe. Je voudrais savoir si c'est elle ou moi...