"Pas de prénom , alors pas de douleur,pas de tristesse, plus d'histoire.
Il valait mieux le silence encore et toujours, et presser le temps, l'exhorter à chasser vite les grandes blessures, à les repousser loin des mots inutiles, toutes ces années auprès de toi Henri, ce silence dans la figure, les morts qui crachent leur silence et leurs plaintes muettes qui jamais ne cessent.....les morts qui m'ont secouée dans tous les sens en riant de me voir tomber.....épouvantée....."
Mais pourquoi, Henri, ne pas m'avoir laissée te raconter, les allers et venues entre nos deux étages, les rires qui fusaient dans l'immeuble et les escaliers, nos parents et puis toute cette gaieté, les jeux de petites filles, les rêves de princesse, main dans la main et contre tous, et toute la force que nous puisions dans les livres, dans nos conversations qui ne s'arrêtaient jamais?
Pourquoi, Henri, ne pas m'avoir laissée te raconter? Que gagne t on à museler les êtres, à faire semblant de les aimer?
P67 : « tu avais décidé qu'il fallait désormais que que nos conversations soient plus documentées. Tu avais souligné ce mot avec une certaine délectation. » (et les fillettes se documenteront sur les ciels en peinture, peuvent-ils être rouges comme ceux de Blanche?)
Enfin Jacques !, cria Blanche, comment peux-tu être si naïf ? Et mon père lui rétorqua que la naïveté était la tarte à la crème des frileux de tous les temps, ce qui me fit un peu rire.
Et toujours, il arrive un moment où l'on sait que l'on est obligé de chasser le souvenirs et de porter un avenir, quel qu'il soit, un avenir avec des choses à accomplir et quelques espoirs, une vie à mettre sur pied.
P156 : « Vous (son mari Henri et leurs amis) m'aviez très vite rangée là, parmi ces êtres que l'on aime tant mais qui ne comptent pas. »
P143 au sujet des promenades dans Paris, après la mort de son père : « Désormais, Paris serait rempli de rues à contourner. »
P41 : « J'évite les regards. Mais le deuil est lourd, harassant, il faut le partager, pas moyen de s'y soustraire, aujourd'hui je suis la veuve, la vieille veuve, tous les visages se tournent vers moi, et quand ils arrivent et quand ils partent, et quoi ! Si l'on ne peut plus rire ! Qu'on me laisse continuer. »
il arrive un temps où l'on imagine plus que l'autre, avec lequel on a borné son univers et dessiné les contours de tout, puisse seulement rêver d'autres choses.
Les années passèrent ainsi, doucement, et je me plaisais toujours autant à faire connaître à ces enfants l'amour de la musique qui m'avait habitée si tôt; j'aimais les grands yeux ronds écarquillés de mes élèves, j'aimais les voir écouter et admirer, un peu incrédules parfois, puis se plonger timidement dans la musique, et se laisser subjuguer par elle. On disait que j'étais un bon professeur, les élèves, les parents, les collègues étaient unanimes, et c'était une indicible victoire. Ces atmosphères de salles de classe et d'école étaient les miennes depuis toujours, jamais je n'aurais pu espérer mieux, et c'était du reste le seul univers qui m'offrait un abri, ma place n'était nulle part ailleurs, qu'aurais-je bien pu faire d'autre ma chère Prune, oui c'est bien quelque chose comme cela que tu m'aurais dit, ma pauvre Magda, toi et tes cahiers, toi et tes professeurs, toi et tes leçons apprises et réapprises par coeur, qu'aurais-tu bien pu faire d'autre?, et nous aurions ri de tout cela, de ma manière si prévisible d'être et tu m'aurais lancé un clin d'oeil entendu.