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Critique de AMR_La_Pirate


Le titre éponyme de ce petit roman rappelle la grande enveloppe dans laquelle l'un des héros, le vieil homme, rangeait ses dessins d'enfants, puis la série de dessins animés qu'il a créé avec pour personnages principaux un jeune écureuil et un vieux crapaud. Mais ce livre n'est-il qu'un simple conte, c'est-à-dire un récit assez court de faits ou d'aventures imaginaires, destiné à nous distraire ? Naturellement non… Ou alors, c'est un conte pour lecteur averti, capable de trouver son chemin dans les différents niveaux de lectures proposés.
Ce nouveau livre de J-C Marguerite n'est pas vraiment un récit très court (il compte tout de même quelques 150 pages), sauf si l'on pense à la différence de taille et de poids avec son précédent roman le Vaisseau Ardent… (Je fais partie des premiers lecteurs qui ont dû faire au mieux avec la version en un seul volume et comme ceux qui m'ont précédé ici, je ne peux résister à en parler…). Ce petit livre peut donc me suivre sans problème, depuis le fonds de mon sac à main jusqu'au fond de mon lit mais il ne me distrait pas au sens strict du terme de passe-temps ou de divertissement ; d'abord il me séduit par la qualité de l'écriture, par la justesse dans le choix des mots et le style soutenu, par le sens de détail et par la poésie qui enveloppe la narration et puis surtout il m'interroge. du conte proprement dit, il puise ses titres de grands chapitres ou parties : « de l'autre côté, oui, de l'autre côté de la rivière », « le Chien qui voulait voir la mer », « Prélude à l'invention des elfes », « À chacun sa fin le train n'attend pas »... Mais c'est surtout un récit allégorique, onirique et philosophique sur l'enfance et ses mystères, les choix de vie, la solitude, la vieillesse et la mort puis sur les passerelles entre les âges et les mondes, entre la réalité et le rêve. C'est aussi une écriture à la frontière entre les modalités de représentation, scripturale certes mais également picturale.
J'imagine, en amont, un immense travail documentaire, d'observation et enfin de synthèse. Les personnages sont denses et épurés à la fois : le vieillard, l'enfant, le chien, le mécano du train et enfin la nature. Selon moi, les univers à la fois opposés et connexes du « Dedans » à peine évoqué et du « Dehors » omniprésent campent d'emblée une ambiance tellurique qui suinte des pages au fur et à mesure qu'on les tourne. Dans son domaine que le vieil homme a voulu couper des nuisances du monde moderne, les arbres deviennent anthropomorphes dans leur vieillesse, leurs couleurs automnales et leurs postures ; la rivière aussi a des réactions humanisées, de paresse, de peur ou d'excitation selon ses apparitions dans le récit et suit à sa manière l'évolution des personnages. La feuille dans ses teintes automnales accompagne les héros dans une étrange « croisade » et rejoint le lecteur dans la typographie des dernières pages.
J-C Marguerite utilise plusieurs niveaux narratifs et jongle avec les points de vue et la temporalité. le vieillard est présenté dans le premier chapitre à la troisième personne et au présent tandis que des passages à l'imparfait font le lien avec son enfance, sa carrière et son repli au château. Mais que cachent les passages en italique ? A qui appartient cette voix off, au vieillard lui-même, à son inconscient, au narrateur omniscient ? Peut-on y lire une métaphore du mécanisme créatif, de l'inspiration ?
Dès le deuxième chapitre le JE prend le relai, le vieillard se met à raconter sa rencontre et son périple avec l'enfant et son chien. Il utilise l'imparfait, temps du récit par excellence hors de l'actualité présente de sa sortie matinale en pyjama sous son manteau et pieds nus dans ses souliers de ville à la poursuite d'un chien mort depuis plus de soixante ans.
Mais la narration omnisciente à la troisième personne reprend ensuite ses droits quand l'aventure devient incertaine et dangereuse, à contre courant de la rivière et que la fatigue, la faim et l'arrivée de la nuit obligent le vieillard, l'enfant et le chien à se réfugier dans une maison hantée.
Enfin, le JE retrouvé n'est plus celui du début ; c'est un JE distancié, mystérieux, celui des regrets, celui des évènements qui n'ont pu avoir lieu et dont pourtant on se souvient ; c'est un JE collectif, partagé entre les vivants et les morts, un JE humain et animal. L'écriture se fait polyphonique, le point de vue s'élargit à l'universel.
À chacun sa fin.
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