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Critique de chocobogirl


Tazane est LA rock star du moment. Adulé par des fans en furie, il est devenu une icône que les journalistes s'arrachent. Une icône sulfureuse dont on ne parle désormais que pour ses multiples frasques. Les scandales ne font que caresser son égo et peu à peu, le chanteur se perd dans une auto-destruction où les limites sont sans cesse repoussées.

On connaissait Julie Maroh pour son formidable premier album le bleu est une couleur chaude. Elle nous revient enfin avec ce nouvel album qui s'éloigne de la veine intimiste du précédent.
On y suit donc un jeune chanteur au plus haut de sa gloire. Tazane est un personnage charismatique qui fait preuve de narcissisme, d'égoïsme, de violence même. Sûr de lui, du pouvoir qu'il exerce sur les gens, il se croît tout permis et s'offre des libertés qui dépassent la bienséance. Il peut faire attendre 1h le public d'un concert, il peut claquer la porte d'une conférence de presse pour une question déplaisante. Mais pire, il boit, se drogue et utilise son succès pour se faire sucer dans un vestiaire par un assistant un peu naïf. Derrière ses frasques, Tazane cache un mal-être permanent. Il se sent en total décalage avec le monde et n'hésite pas à s'auto-mutiler à l'occasion. Utilisant son image publique pour assouvir le moindre de ses désirs, il cherche en même temps à la dégrader. Jusqu'à la transgression de trop.

L'auteur a choisi ici de suivre un personnage éminemment détestable. Aucune empathie possible pour ce garçon qu'on voit sombrer dans une spirale destructrice qui va bientôt atteindre son entourage. On a beau lui chercher des excuses, un passé peut-être dramatique. Rien pourtant ne sera dit quand à ses motivations, aux raisons intimes de son mal-être.
Il s'agit ici du portrait d'une de ces stars comme il y en a tant qui, enivré par la gloire et le succès, finit par se perdre dans les interdits pour mieux se sentir exister. Élevé au divin, Tazane dont les moindres paroles semblent évangile pour ses fans, ne peut que chuter. Conscient de l'absurdité de cette adulation, il fait tout pour le leur montrer, en dépassant les limites de ce qui est admissible.
L'auteur s'explique dans la postface un peu lourde et quelque peu intellectualisante. Elle a souhaité évoquer la figure mythique du bouc émissaire, de la manière dont le désordre qu'il provoque cristallise la communauté autour d'un ordre revenu, de la manière dont la société se protège en canalisant sa propre violence. « Skandalon » est d'ailleurs un terme grec qui signifie « pierre qui fait trébucher », tout ce qui pousse quelqu'un au péché. Une réflexion plus qu'intéressante certes mais il y a un « mais ». C'est que dans l'album en lui-même, elle n'est pas assez prégnante. Les phylactères sont peu nombreux et le lien avec le mythe antique n'est absolument pas palpable, avant d'en avoir lu l'idée dans la postface. L'histoire se ferme dans le drame, comme on pouvait s'y attendre mais dans la narration, point de réflexion élargissant le propos. Pour moi, un album devrait se suffire à lui-même, sans passer par un texte explicatif de ce qu'a voulu signifier l'auteur. de toute évidence, Julie Maroh a lu René Girard et s'emploie bien à retranscrire sa pensée. Au final, c'est avec un sentiment d'inachevé que l'on referme cet album pourtant de qualité. On garde une impression que l'auteur a voulu dire des choses sans vraiment avoir su les exprimer elle-même, sans être allée au bout de sa thèse et qu'elle laisse les lecteurs se dépatouiller avec la philosophie de ce dernier.

Julie Maroh qui nous avait offert de jolis bleus contrastés dans son premier album a choisit ici de donner beaucoup plus de flamboyance à ses dessins. Les tons sont forts, parfois agressifs et se rapprochent par certains côtés à de la peinture. Je pense au fauvisme notamment. Son trait se fait plus épais, plus grossier. Et par moments, j'ai regretté la finesse des visages à laquelle elle nous avait habituée. Pour autant, il colle bien au personnage fort en gueule de Tazane, tout en excès. Un dessin, réalisé principalement à l'acrylique, qui a évolué donc mais dont on retrouve la patte : certains faciès de personnages, leurs regards.

On peut savoir gré à l'auteur d'avoir voulu faire quelque chose de totalement différent de son premier album au grand succès critique et commercial. Nouveau sujet, nouveau dessin. Skandalon offre un portrait violent de notre monde avec l'histoire d'un homme à la fois humain et inhumain, dans son désir de faire le mal, de se faire mal. Des journalistes hypocrites qui se repaissent des scandales, des fans qui font tout pour approcher leur idole et obtenir un peu de leur lumière en miroir, une star qui perd toute moralité, piétinant tout sur son passage. le monde du star system est noir, très noir et fort bien représenté ici. Pourtant, on reste en retrait de cette histoire, spectateur un peu froid d'une déchéance annoncée, attendant une fin plus marquée encore par la noirceur. C'est un album violent mais qui se ferme sans la claque annoncée. Quelque chose manque. La réflexion semble un peu courte et l'album trop démonstratif pour emporter véritablement son lecteur.
Pour autant, je vous encourage malgré tout à découvrir cet album qui ne manque pas de qualités.
Lien : http://grenieralivres.fr/201..
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