Wendat

Il y a bien longtemps que j'ai oublié ce que l'on peut éprouver lorsque deux âmes s'accordent sur un même tempo.

Le destin a peut-être fini par ouvrir la porte de ma cage, juste assez pour que j'ose regarder ce qui se cache derrière.

Rares sont les moments au cours desquels je me laisse aller à ce point, et me sentir vulnérable à ce point m’effraie autant que cela me fait fuir. Je me suis senti mis à nu de force. Certes, je suis nu. Mais je parle là davantage de ce que j’ai éprouvé lorsque cette intruse s’est permis de venir déranger la connexion que je me suis fatigué à établir avec les esprits des anciens.

La seule certitude qui me percute, c’est qu’elle et moi n’appartenons pas au même monde. Nous ne parlons pas le même langage. Elle survit dans un univers forgé par l’argent, je vis une existence rendue possible grâce à la nature.
Nous sommes des éléments contraires.

Une personne que l’on ne connaît que depuis quelques jours ne peut pas nous décevoir. Nous n’avons rien à attendre d’elle. Pourtant, celle que j’ai rencontrée hier soir et celle qui se tient sur cette terrasse sont deux femmes bien distinctes. J’ai apprécié découvrir la première, la seconde me donne envie de fuir. Elle représente tout ce que je déteste. Elle a délaissé son jean et sa chemise pour un tailleur trop guindé, elle a resserré ses boucles rousses, pomponné son visage cristallin d’un surplus de maquillage, l’image, encore l’image. Le paraître.

Il n’y a rien de plus vrai que l’attitude d’une personne qui ne se sait pas observée. Alors je guette, discret, à l’affût, tel un prédateur. Pourtant, je ne cherche pas à chasser, seulement à en apprendre plus sur la présence de cet homme, comme mû par un instinct de protection envers ce bout de femme. Elle m’intrigue. Le dénommé Vermulen tend son téléphone vers la jolie rousse qui semble avoir beaucoup de choses à raconter au journaliste. Je ne parviens pas à entendre le sujet de leur discussion, mais je remarque à quel point elle agit différemment de la veille.

Cette fille a rencontré des problèmes à un moment donné de son existence, et tant qu’elle vit sous mon toit, je tiens à la garder à l’écart de ces derniers. Derrière ses airs fiers et guindés, elle m’a laissé entrevoir des failles, une fragilité que je n’aurais pas soupçonnée sans ces échanges. D’une certaine manière, elle est parvenue à me toucher. Me surprendre aussi. Voilà pourquoi je me permets de vérifier les intentions de ce visiteur que je n’attendais pas.

L’humour, il ne reste que lui, parfois, pour détourner le chemin des zones à risques. Le vide est immense, de ce côté de la route, et le vertige me gagne dès que j’approche du ravin. Alors, je choisis de radoucir l’atmosphère pour éviter de chuter.

Je suis blanche et je défends les idées pour lesquelles cette femme s’est battue. Il fallait un courage sans limites pour incarner ces combats. La couleur de peau n’est pas la seule raison pour laquelle on peut être discriminée. Rien ne justifie cela.

Votre vie sociale est riche de connaissances, mais pauvre de véritables amis. Votre métier vous apporte une sécurité financière, mais ne vous convient que par défaut. Votre petit ami travaille dans une start-up new-yorkaise en plein essor et vous prévoyez peut-être un jour de vous associer pour vous lancer à votre compte. Ce séjour vous donne des impressions de vacances, parce qu’entre une vie nocturne animée et des journées harassantes, vous avez oublié comment on s’y prenait pour respirer. Et respirer, c’est vivre.