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Critique de Fredleroux


Une femme à qui on fait l'amour, et qui nous dit « je t'aime »... Des adolescents embrassés autrefois, il y a déjà longtemps... Des pays illuminés, excessivement chers, mais tant pis, Gallimard paie encore... le dernier volume des Carnets noirs de Matzneff revêt des couleurs crépusculaires. C'est le plus beau que j'aie lu, avec le premier peut-être, "Cette camisole de flammes", qu'il rejoint. Ce dernier tome est le rival des meilleurs romans…

« J'ai toujours eu l'ambition de faire de chacun de mes livres une petite planète, un micro-univers, où apparaîtraient mes zones d'ombre et de lumière, mes vertus, mes péchés, non par souci autobiographique, mais par désir de créer une oeuvre véridique, et totale, sans camouflage ni mensonge. »
"Un galop d'enfer", Journal, 1er août 1977

« Une oeuvre véridique » : exactement, et cela suffit. Mais Matzneff nous donne encore bien plus. Petite planète où se résume et s'accomplit l'ensemble de la vie, "Les Carnets noirs 2007-2008" prouvent qu'un journal intime peut aller jusqu'à la maestria. Une vie entière d'écriture met entre les mains de l'auteur un instrument merveilleusement souple, léger, précis... La spontanéité, la fluidité sont parfaites. Pas d'analyse excessive, l'auteur semble exprimer directement le ressenti. Mais bien sûr, c'est écrit. Entre sa pensée et son journal où nous avons l'impression de vivre sa vie en la lisant, il y a la médiation de l''écrit. Matzneff dit tout, et il ne dit pas tout... Il ne peut pas tout dire.

Entre cent traits délicieux, il y a l'usage qu'il fait de l'argot, du lexique populaire. Il se l'approprie, l'incorpore à sa langue classique, l'adapte à la tonalité de son oreille et à son style moral. Il ne dit jamais foutu mais systématiquement fichu. Quand il écrit lècheurs de cul, merde, etc., cela ne sonne pas comme chez les autres, parce que son esprit reste étranger à la vulgarité. Tout est construit, choisi dans le respect de modèles établis : le français classique, son harmonie, ses équilibres ; le respect des conjugaisons classiques, jusqu'aux formes désuètes du subjonctif ; des mots rares qui deviennent courants sous sa plume, employés pour désigner une chose courante : enganyméder pour ne pas dire enculer, caracoler pour dire baiser, etc. Et le recours aux vocables populaires, pour dire certaines colères...

Plus qu'un autre peut-être, un écrivain de soi fait l'échange de sa vie et de son oeuvre. Il est douloureux de lire, sous la plume de Matzneff, « ce terrible ratage qu'est ma vie ». Nous l'acceptons difficilement, parce que nous ne voyons que la réussite de son travail. C''est absolument délicieux, la lecture de Matzneff. On s'y enfuirait comme dans le vin, la drogue, l'amour. Cette lecture distille aussi du désespoir.

Il me semble quelquefois, en lisant les meilleurs écrivains, qu'ils ne disent rien. Qu'à force de précision dans leur peinture de l'être, ils en restituent finalement le grand mystère : il n'y a rien. Pour le diariste qu'est G. M. : tout ce qui est revient, un jour, à rien…
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