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Critique de HordeDuContrevent


« le bleu ne fait pas de bruit, c'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge… »

Le bleu ensemence élégamment la lumière, poudroie l'âme, teinte la foi, ennoblit le sang, creuse des ombres à la mort, nuance la colère, se fait mots, se fait chair, rassemble sous son aile douce et sereine toutes les autres couleurs. C'est cette histoire-là, celle d'une couleur au-delà de la couleur que Jean-Michel Maulpoix, Goncourt de la Poésie 2022, nous conte. Une histoire du bleu en fines lamelles de prose poétique, courts chapitres pour en savourer toutes les nuances, petites hosties pour diffuser en soi la chair du bleu, ailes irisées et translucides de libellule pour admirer, joliment masqués, la transe du bleu.

Le poète nous fait entrer dans son histoire par le sens premier que nous avons de ce terme, celui qui nous vient spontanément en tête, la couleur, le bleu « dans les rétines du ciel et de la mer », en mille nuances subtiles, palette infinie, depuis le bleu azuré au bleu indigo tirant presque sur le rouge foncé. La porte d'entrée de ce livre, comme un signe rassurant, familier, une intimité retrouvée, ouvre sur des visions picturales sublimes, des tableaux à dominante de bleu avec quelques couleurs autres de ci, de là, des gouttes de rouge, des éclats de jaune, des zestes d'orange, des manteaux de blancs, pour mieux le sertir, en souligner la beauté et la majesté, magnifiant les paysages observés.

« le ciel est de tuiles blanches. La sieste de la mer creuse une longue cicatrice d'encre sur la joue de l'horizon où les voiliers tracent de grandes routes calmes et plantent leur amour d'oiselier d'un blanc très nu ».

Une belle couleur apaisante, a priori froide, chaude en réalité derrière cette apparence timide, que l'on voudrait garder contre soi pour nous enduire le coeur et apaiser nos chagrins... « On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener des parfums, tenir quelques heures la beauté contre soir et se réconcilier ».
Les pieds de rosée, les mains de pétales et de sucre dans le verger, quand la saison ramène le bleu…Le bleu rieur de l'enfance quand « on touchait le ciel avec ses doigts ».

Une couleur mystérieuse lorsque le soleil se couche et que « la nuit prend ses appuis », cette fameuse heure bleue, les cheveux noirs alors violets, et leur sel devenu mauve…et « Lentement le mystère se déplace d'un coin de l'horizon à l'autre »…du gris de lin au bleu nuit…

Une couleur qui discrètement poudroie, éclabousse, déborde, une tonalité enveloppante, un climat, une résonance dans l'air même, si présente l'air de rien au point de nous faire entrevoir, au fil des pages, le bleu au-delà du bleu, au-delà de la couleur, le bleu se faisant symbole des origines, vestige atavique de la mer en nous, racine ancestrale et immémoriale de ce berceau de l'humanité, « la mer en nous essaie des phrases » nous laissant médusés devant son spectacle à chercher les mamelles d'un lait primaire, le bleu océan devenu rouge grenat, à rechercher ce qui a eu lieu il y a si longtemps, à explorer nos lointains…

« Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains ».

Le bleu est émotion, sensation, sentiment, couleur de l'âme et de la pensée, de l'espoir et de l'attente, de la compassion et de la connivence, du pardon, comme le montre le bleu de certains regards noirs. Il est symbole de bonheur profond, la vie devient bleue quand on prend conscience de la diversité des couleurs qui nous assaillent :
« Il nous plait de confondre toutes les couleurs en une. Avec le vent, la mer, la neige, le rose très doux des peaux, le rouge à lèvres des rires, les cernes blancs de l'insomnie autour du vert des yeux, et les dorures fanées des feuilles qui s'écaillent, nous fabriquons du bleu ».

Le bleu est à la fois couleur de la spiritualité, une lumière de vie qui brûle en rhabillant notre misère et purifiant notre âme, mais aussi couleur sous la violence des coups, couleur du corps vieillissant à l'image de ces veines transparentes gorgées de sang bleu sur les mains fatiguées, couleur même de le mort la plus primaire, du regard de verre bleuté des morts à la disparition et l'affaissement de la chair en décomposition, « la couleur même de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps, après qu'a giclé tout le sang et que ce sont vidées les viscères, les poches de toute sortes ».

Bleue l'encre des mots qui s'arriment à la page en vagues tempétueuses, « floculations de l'encre, peut-être floralies, efflorescences. L'écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin». Bleu l'amour. Ces instants…Mosaïques bleues, ses yeux frôlent de leurs cils mes vitraux d'ébène, s'entremêlent ciel et terre en mille lueurs fondues. Ces instants dans les chambres bleues, ces chambres aux volets fermés lorsque la lumière dehors est vive à « regarder le corps à jamais bleu de la chimère et du désir »…

L'histoire contée par Jean-Michel Maulpoix est si vaste, si belle, si subtile, que j'ai du mal à exprimer correctement la beauté incroyable qui se dégage de ce livre…comme le dit l'auteur : « Ils regardent le bleu, mais ne sauront jamais le dire », c'est bien ce que je ressens moi-même, cette incapacité à dire ce livre, à dire cette poésie. Il touche le bleu le plus intime en nous, le point le plus incandescent : « J'aime allumer une cigarette au milieu de la mer. C'est un minuscule point rouge sur le bleu. Un point d'incandescence, de grésillement et de chaleur ». C'est l'union du bleu au plus proche du rouge, le bleu du coeur, sans doute le coeur du bleu…Bleu lagon, rouge sang...

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