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EAN : 9782715217706
128 pages
Le Mercure de France (09/10/1992)
4.46/5   26 notes
Résumé :
Le bleu ne fait pas de bruit. C'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui l'attire à soi, l'apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser, de sorte qu'en elle il s'enfonce et se noie sans se rendre compte de rien. Le bleu est une couleur propice à la disparition. Une couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même de l'âme après qu'elle s'est... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« le bleu ne fait pas de bruit, c'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge… »

Le bleu ensemence élégamment la lumière, poudroie l'âme, teinte la foi, ennoblit le sang, creuse des ombres à la mort, nuance la colère, se fait mots, se fait chair, rassemble sous son aile douce et sereine toutes les autres couleurs. C'est cette histoire-là, celle d'une couleur au-delà de la couleur que Jean-Michel Maulpoix, Goncourt de la Poésie 2022, nous conte. Une histoire du bleu en fines lamelles de prose poétique, courts chapitres pour en savourer toutes les nuances, petites hosties pour diffuser en soi la chair du bleu, ailes irisées et translucides de libellule pour admirer, joliment masqués, la transe du bleu.

Le poète nous fait entrer dans son histoire par le sens premier que nous avons de ce terme, celui qui nous vient spontanément en tête, la couleur, le bleu « dans les rétines du ciel et de la mer », en mille nuances subtiles, palette infinie, depuis le bleu azuré au bleu indigo tirant presque sur le rouge foncé. La porte d'entrée de ce livre, comme un signe rassurant, familier, une intimité retrouvée, ouvre sur des visions picturales sublimes, des tableaux à dominante de bleu avec quelques couleurs autres de ci, de là, des gouttes de rouge, des éclats de jaune, des zestes d'orange, des manteaux de blancs, pour mieux le sertir, en souligner la beauté et la majesté, magnifiant les paysages observés.

« le ciel est de tuiles blanches. La sieste de la mer creuse une longue cicatrice d'encre sur la joue de l'horizon où les voiliers tracent de grandes routes calmes et plantent leur amour d'oiselier d'un blanc très nu ».

Une belle couleur apaisante, a priori froide, chaude en réalité derrière cette apparence timide, que l'on voudrait garder contre soi pour nous enduire le coeur et apaiser nos chagrins... « On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener des parfums, tenir quelques heures la beauté contre soir et se réconcilier ».
Les pieds de rosée, les mains de pétales et de sucre dans le verger, quand la saison ramène le bleu…Le bleu rieur de l'enfance quand « on touchait le ciel avec ses doigts ».

Une couleur mystérieuse lorsque le soleil se couche et que « la nuit prend ses appuis », cette fameuse heure bleue, les cheveux noirs alors violets, et leur sel devenu mauve…et « Lentement le mystère se déplace d'un coin de l'horizon à l'autre »…du gris de lin au bleu nuit…

Une couleur qui discrètement poudroie, éclabousse, déborde, une tonalité enveloppante, un climat, une résonance dans l'air même, si présente l'air de rien au point de nous faire entrevoir, au fil des pages, le bleu au-delà du bleu, au-delà de la couleur, le bleu se faisant symbole des origines, vestige atavique de la mer en nous, racine ancestrale et immémoriale de ce berceau de l'humanité, « la mer en nous essaie des phrases » nous laissant médusés devant son spectacle à chercher les mamelles d'un lait primaire, le bleu océan devenu rouge grenat, à rechercher ce qui a eu lieu il y a si longtemps, à explorer nos lointains…

« Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains ».

Le bleu est émotion, sensation, sentiment, couleur de l'âme et de la pensée, de l'espoir et de l'attente, de la compassion et de la connivence, du pardon, comme le montre le bleu de certains regards noirs. Il est symbole de bonheur profond, la vie devient bleue quand on prend conscience de la diversité des couleurs qui nous assaillent :
« Il nous plait de confondre toutes les couleurs en une. Avec le vent, la mer, la neige, le rose très doux des peaux, le rouge à lèvres des rires, les cernes blancs de l'insomnie autour du vert des yeux, et les dorures fanées des feuilles qui s'écaillent, nous fabriquons du bleu ».

Le bleu est à la fois couleur de la spiritualité, une lumière de vie qui brûle en rhabillant notre misère et purifiant notre âme, mais aussi couleur sous la violence des coups, couleur du corps vieillissant à l'image de ces veines transparentes gorgées de sang bleu sur les mains fatiguées, couleur même de le mort la plus primaire, du regard de verre bleuté des morts à la disparition et l'affaissement de la chair en décomposition, « la couleur même de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps, après qu'a giclé tout le sang et que ce sont vidées les viscères, les poches de toute sortes ».

Bleue l'encre des mots qui s'arriment à la page en vagues tempétueuses, « floculations de l'encre, peut-être floralies, efflorescences. L'écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin». Bleu l'amour. Ces instants…Mosaïques bleues, ses yeux frôlent de leurs cils mes vitraux d'ébène, s'entremêlent ciel et terre en mille lueurs fondues. Ces instants dans les chambres bleues, ces chambres aux volets fermés lorsque la lumière dehors est vive à « regarder le corps à jamais bleu de la chimère et du désir »…

L'histoire contée par Jean-Michel Maulpoix est si vaste, si belle, si subtile, que j'ai du mal à exprimer correctement la beauté incroyable qui se dégage de ce livre…comme le dit l'auteur : « Ils regardent le bleu, mais ne sauront jamais le dire », c'est bien ce que je ressens moi-même, cette incapacité à dire ce livre, à dire cette poésie. Il touche le bleu le plus intime en nous, le point le plus incandescent : « J'aime allumer une cigarette au milieu de la mer. C'est un minuscule point rouge sur le bleu. Un point d'incandescence, de grésillement et de chaleur ». C'est l'union du bleu au plus proche du rouge, le bleu du coeur, sans doute le coeur du bleu…Bleu lagon, rouge sang...

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« Épars dans la lumière du jour, le bleu attend son heure. Il fait le guet, il prend son temps. Jamais il ne perdra patience, car il a tout le temps pour soi. Il mûrit sa couleur en d'interminables aurores. »

Mon ressenti : du très haut niveau ! Cette poésie en prose exprime une maitrise des mots et des phrases proches de la perfection.
La touche divisée… Pour l'amateur de peinture que je suis, la poésie de Jean-Michel Maulpoix est, sans conteste, impressionniste. Tout au long de ma lecture, des toiles de grands peintres du 19e, maîtres d'une nouvelle esthétique, m'apparaissaient : Monet, Renoir, Sisley, Pissarro… ceux qui peignaient sur le motif la lumière changeante, l'instantanéité, la fugacité des choses, les émotions troubles et fragiles, en utilisant des couleurs pures et une touche divisée.
Certains mots reviennent le plus souvent pour qualifier ce style de peinture : sensation, touche, lumière, paysage, éphémère, amour, couleurs. Nous les retrouvons dans la magnifique poésie picturale de l'auteur.

COULEURS : le maître-mot est le bleu, langage de ce recueil de poésie. Parfois, une pointe de rouge ou de jaune, pour le contraste, se mêle au bleu :
« Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu… le bleu ne fait pas de bruit, c'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge… Ce bleu n'est guère qu'un signe peint, une minuscule araignée d'encre… L'on regarde le bleu dans les rétines du ciel et de la mer… J'ai allumé une cigarette au milieu de la mer, c'est un minuscule point rouge sur le bleu… L'écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin. »

ÉPHÉMÈRE, FUGACE : L'écriture de l'auteur répond à la nécessité du bref, de l'inconstance, du fugitif. Il suffit de recueillir au passage les mots qui s'assemblent en fragments, bribes, phrases courtes laconiques :
« Je n'écris pas, je note furieusement… Tu prends la mer sur des cahiers à gros carreaux où tu traces des lettres rondes qui font des tâches… Comme un linge, le ciel trempe, il passe au bleu. le bleu d'ici s'estompe quand la nuit tombe. »

LUMIÈRE :
« Il semble qu'au soleil couchant, le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à croire à son bleu… Les beaux jours, le large poudroie… L'azur, certains soirs, a des soins de vieil or. »

PAYSAGE :
« Mais déjà la nuit dépliait ses velours. Des essaims d'abeilles revenaient du large, un peu de bleu collé aux pattes. On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile. »

TOUCHE : les mots du poète claquent parfois par petites touches impressionnistes :
« Chaque fois que ton coeur craque, tu prends ton dé, ta trousse et tes aiguilles : des mots encore des mots, bouts de bois, cabanes d'enfants, excès, accès de ciel, fièvres d'encre, une convoitise de bleu, sa mélancolie de jupes claires ; tu es l'ouvrier de l'amour. »

SENSATION, ATMOSPHÈRE :
« Une rumeur de lilas dégringole vers la mer quand, sur les balcons de bois peint, le coeur des marins s'éclabousse… L'infini nous colle aux paupières et nous fait un visage enfariné de clown… Nous accompagnerons du bout des doigts le temps qui passe… Dans les yeux de tes semblables, l'infini n'est jamais monotone. »

AMOUR
« le jour venu, l'illusion de l'amour nous fermera les yeux… Celle qui m'aime a les yeux clairs. Elle ne consent à dénouer que ses cheveux, violets, dit-on, comme sont les tresses des muses où les doigts de l'homme restent pris… Elle écarquille son grand oeil bleu et te regarde. »

Ce livre est un parcours de vie, celui d'un humaniste. Des flots de plaisir parcourent toutes les phrases. Il faut parfois stopper son regard, et rêver.

« Il te faut écrire comme si tu devais liquider la mer. Les mots sont tout ce qu'il te reste : lance-toi à l'assaut de ce bleu. »

Jean-Michel Maulpoix a reçu le Goncourt de la Poésie en 2022.

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Je ne lis pas souvent - et probablement pas assez -de poésie ; mais ce recueil m'a transportée dans un voyage sous l'égide de la couleur bleu . Tandis que je lisais je pensais simplement : "c'est beau".
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Citations et extraits (79) Voir plus Ajouter une citation
Les mots parfois se précipitent.

La page bleuit, s’étale, se déplie, s’allonge, bientôt plus vaste que la mer. Elle se lève et forcit. Elle prend vers le ciel son essor. On voudrait croire alors qu’elle n’est plus ce vain chemin d’encre qui se hasarde vers nulle part, mais le cœur retrouvé de l’amour.

(...)

En vérité, pourtant, les mots se noient : elle est une affaire trop grande. Il faut à la parole des digues et des gués, des passerelles, des ports et des patries, toutes sortes de petites affaires rassurantes, des choses simples autant que précises à quoi penser et auxquelles se tenir, des clés, des colliers et des chiens, mettre ce bleu en boîte, tenir le large en laisse.
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Ils se déplacent. Ils songent à se placer.

Les cieux dont ils transportent l'espérance règlent leurs conduites : demain vaut bien ces gestes de brute, ces sueurs, ces attentes blêmes. La vie qui vient sera plus belle que celle qui a passé. D'un souci, d'un amour, d'une giclée de désir à une autre, ils se bousculent et larmoient, croyant atteindre bientôt le ciel, aller s'asseoir très haut parmi les muses, causer enfin avec les anges et tenir dans leurs bras celle de toujours toute dont le rire est aussi clair que le regard. Promptement, ils s'habillent, se dévêtent, et se rhabillent encore devant leurs miroirs. Cela, semble-t-il, les occupe. Et les mots qu'ils prononcent n'ont d'autre objet qu'une phrase lointaine qui restera collée sur leurs lèvres à l'heure désormais proche de leur disparition. Combien de fois déjà ont-ils cru toucher au port ? Il est des visages dont la courbure donne à espérer l'impossible, des reins où s'incurve la nuit, des pas que tard l'on voudrait suivre jusqu'au ciel de lit d'une chambre odorante dont les volets de bois ouvrent sur la mer. Il faut aller : c'est vivre. Et cela ressemble à se perdre. Les dieux que nous avons en tête ne meurent pas : nous ne serons jamais délivrés de l'amour.
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« La substance du ciel est d’une tendresse étrange. »
     
L’azur, certains soirs, a des soins de vieil or. Le paysage est une icône. Il semble qu’au soleil couchant le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à croire à son bleu. Un jour inespéré se lève tandis que sur la mer la nuit prend ses appuis.
     
Le mystère se déplace d’un coin de l’horizon à l’autre.
     
On ne saurait décrire la matière de ce moment ni sa couleur ; ce serait comme une conversation murmurée de la lumière avec l’obscurité, un geste, une bonne intention : l’inconnu prendrait soin de tout, et chacun saurait que sur cette terre il est à sa place, qu’elle est faite pour lui, que le malheur même n’y est qu’une erreur, un oubli bientôt réparé, ou l’état mal dégrossi du bonheur qui se dessine et dont le ciel du soir ne déliera pas la promesse.
     
p. 17
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En été, le soir, sous les parasols rouges de la terrasse, comme sur le pont d'un grand navire, loin dans les tiédeurs de la mer.

Le soleil dans les yeux se couche, au pied du clocher flambant neuf. Les verres tintent et pétillent. Les voix racontent. Le temps s'attarde. Rien à craindre. Le malheur est loin. On oublie de mourir. On songe à des épaules. Chemisiers et rubans de couleur. Lunettes noires et cigarettes blondes. Contre-jour : la chair est tendre sous le tissu. Le cœur fait des bonds dans l'alcool et les rires. Ce bonheur pourtant est étrange. Trop douce est la musique, trop sucrée. Une poudre d'os sur les cheveux. Tant de bleu. Tant de bière. Tant de couronnes et de corolles. Pour ceux-là qui parlent d'amour, en été, les beaux soirs, sous les parasols rouges, au pied du clocher neuf, un peu avant huit heures, jusqu'à la nuit tombée.
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L’azur, certains soirs, a des soins de vieil or. Le paysage est une icône. Il semble qu’au soleil couchant, le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à croire à son bleu. Un jour inespéré se lève tandis que sur la mer la nuit prend ses appuis.
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Vidéo de Jean-Michel Maulpoix
Jean-Michel MAULPOIX – En son for intérieur (France Culture, 1996) L’émission « Poètes en pied », série d’été de « For intérieur », par Olivier Germain-Thomas, diffusée le 3 août 1996. Invité : le poète en personne. Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l'unique objet de perpétuer la Poésie française.
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