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Critique de berni_29


Le Horla est un récit majeur dans l'oeuvre de Guy de Maupassant. C'est un récit fantastique que j'ai lu durant ma jeunesse, je me demande même si je ne suis pas entré par ce récit dans l'univers littéraire de cet auteur qui m'est si cher. Ce devait être au sortir de l'adolescence. Plus tard, j'ai continué de visiter son oeuvre, Maupassant figure dans mon panthéon littéraire, mais davantage pour le côté réaliste de son oeuvre.
Cependant, relisant aujourd'hui ce récit le Horla, j'y ai savouré un texte écrit avec une langue subtile, magnifique, celle que j'admire chez Maupassant, révélant plus que jamais une puissance d'évocation dans une narration extrêmement resserrée ici sur un seul protagoniste, un narrateur qui vient vers nous par l'entremise de son journal intime.
L'auteur y décrit la déchéance progressive et dramatique du narrateur poursuivi par une créature invisible, baptisée par lui-même le Horla, dont il ne sait si elle est réelle ou le résultat d'un trouble psychiatrique.
Le Horla, c'est avant tout l'histoire d'une emprise. Une emprise qui se resserre peu à peu comme un étau, l'emprise sur un homme, sa vie, son destin..
C'est un texte qui joue sans cesse sur le fil d'une ambiguïté puisque nous sommes plongé par le récit d'un journal intime dans la tête d'un homme qui semble de plus en plus convaincu qu'une force indicible et invisible vient le hanter autour de lui, dans ses lieux familiers, jusque chez lui.
L'obsession ira grandissante jusqu'au dénouement final qui ne nous révélera rien sur ce questionnement, sinon peut-être le doute à jamais...
De cette force invisible, il cherchera à s'en débarrasser par tous les moyens possibles. Dans ce récit psychologique, Maupassant présente un personnage torturé, gagné par le doute et qui finit par sombrer dans la démence.
C'est l'histoire d'une angoisse indicible qui s'installe peu à peu.
Le thème du double, celui de l'altérité est très présent, ce sont sans doute là les branches où ce récit doit nous inviter
Sentir cette obsession, cette folie, qui étreint l'esprit du narrateur, insidieusement. C'est une étreinte qui monte, en tension, jusqu'à l'orgasme du texte, dans le fantastique le plus pur, le plus brillant, le plus saisissant, l'auteur a cet art de saisir chaque scène du texte pour la rendre à la fois juste et brusquement éblouissante.
Toute l'ambiguïté demeure jusqu'au dénouement final et peut-être encore après : cette force invisible est-elle en lui ou à l'extérieur, dans cette proximité si étrange et si menaçante ?
Alors, oui, Maupassant était malade, atteint de la syphilis, lorsqu'il écrivit ce récit. Sans doute cela se ressent dans la narration, puisque certains symptômes de sa maladie ressemblent étrangement aux symptômes vécus par le narrateur, le faisant peu à peu basculer dans une forme de folie inéluctable...
À l'aune de la maladie que vécut Maupassant et l'emporta vers la mort, il est possible que la hantise du double, présente dans cette nouvelle, donne une réalité tout autre.
Ces symptômes, qu'on retrouve dans la nouvelle, produisent une sorte de mise en abyme du thème du double à travers laquelle j'ai imaginé que l'auteur et le narrateur se retrouvaient, comme l'un devenant le double de l'autre, peut-être se confondaient...
Mais la force du récit, c'est de saisir le lecteur, pris à témoin, de l'immerger dans la réalité intérieure que vit le narrateur. le ressort narratif agit à merveille au point d'abolir toute distance, redoublant ainsi l'emprise du Horla sur le narrateur, mais sur nous aussi. le récit est une perpétuelle oscillation entre deux versants psychologique : la sidération du narrateur devant ce qui lui arrive et un état de folie qui s'empare de lui. En m'identifiant à la partie saine du narrateur, je me suis retrouvé contre toute attente en empathie avec ce pauvre personnage qui se démène contre des forces obscures, en proie à quelque chose qui lui échappe totalement.
Cette figure du double exprimé se traduit ici par les signes inquiétants d'une présence invisible et dévorante.
« Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait entre mes lèvres. » 
Le thème du double, si riche en littérature sous toutes ses expressions, constitue l'interface à partir de laquelle se constitue l'identité psychique du narrateur à la limite du dedans et du dehors.
Sur le plan narratif, Maupassant m'a entraîné dans ce récit qui visite l'inquiétante étrangeté qui touche le narrateur, au prétexte d'un conte presque fantastique, dans un itinéraire de questionnements qui me réjouissent : l'identité, l'altérité, le visible dans l'invisible, l'invisible dans le visible, le rapport de soi à soi, ce rapport qui parfois peut passer par un intermédiaire venu de l'extérieur, une représentation de « soi » externalisée et non reconnue, impersonnelle et anonyme.
Face au danger permanent qui le menace, le narrateur va chercher à accumuler les preuves de l'existence du Horla pour s'en différencier. En objectivant ce à quoi il est confronté, on peut dire qu'il tente désespérément d'identifier ce qui l'affecte, au point de perdre la raison. Paradoxalement, c'est la tentative d'explication du phénomène du Horla qui accroît les productions hallucinatoires et finit par faire sombrer le narrateur dans la folie.
C'est puissant, c'est prodigieux, c'est Maupassant se révélant ici une fois encore dans la qualité de son écriture, de son travail d'écrivain, capable de sublimer l'ordinaire ou le presque ordinaire...
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