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Critique de Orelien_Pereol


Notre société à statut est mal équipée pour faire face à des problèmes nouveaux. Celles et ceux qui ont un statut revendiquent que c'est la bonne vie tandis que celles et ceux qui n'en ont pas cherchent à en obtenir un. Chacun cherche à « ouvrir sa vie jusqu'à la mort » selon la formule de Sartre, ce qui était il n'y a pas si longtemps le paroxysme de l'esprit bourgeois et que les gens de gauche devaient combattre. Il se pourrait que les échecs commerciaux internationaux de certaines entreprises françaises ces derniers jours soient un aspect de ce modèle social revendiqué, et dont Eric Maurin tente timidement de nous montrer l'inadaptation.




Eric Maurin veut établir une sociologie des récessions. Il fait une description des allants-de-soi de la politique française, d'un état d'esprit commun, de l'état de nos esprits, ce que nous partageons sans avoir à nous le dire, sans le savoir le plus souvent, sans distance donc ; nous, tous ensemble, nous les concitoyens.
Nous sommes une société à statut. Et dans une société à statut, la perte du statut est une perte irrémédiable. Celles et ceux qui bénéficient d'un statut estiment qu'ils ont passé un contrat et que ce contrat ne peut être diminué, et encore moins rompu. Ce contrat est la sanction d'un travail initial acharné et ce qui le rend indiscutablement mérité. C'est une résolution singulière des inégalités : les inégalités perdurent mais les bonnes places ont été acquises dans une compétition loyale, anonyme, principalement par les concours de la fonction publique, et elles sont ainsi légitimées. Les perdants de cette compétition en sont d'accord. Ils ne le contestent pas. La façon pour la France et les français d'être inégalitaires, c'est de distribuer les inégalités par la formation, par les concours en début de vie. le fait que cette distribution résulte de compétitions formellement égalitaires est considéré comme reconstituant l'égalité : les inégalités qui en sortent sont égalitaires. Eric Maurin développe peu cela : il en fait un point de départ de sa réflexion et y revient sans cesse, comme l'ancrage fondamental de notre être politique.
La peur du déclassement domine la vie publique. Elle est très supérieure à celle qui pourrait légitimement naître du déclassement véritable. Parce que même si elle a peu de chances statistiquement de nous arriver, si le déclassement nous atteint, il n'y a plus de rattrapage. « Ce risque est nulle part aussi élevé qu'en France et nulle part réparti de façon aussi inégalitaire. » p 7 et « La peur du déclassement anime notre société et lui donne son énergie… » p76. C'est la peur qui anime notre société !
Au début de la crise (1974), la politique suivie fut conservatrice et défendit les salariés, « contrairement à l'idée reçue ». le chômage paraissait ne devoir que peu durer. Puis, Raymond Barre institua le CDD, intermédiaire entre le statut et le chômage. « Il est abusif d'amalgamer sous le même statut de « précaires » l'ensemble des personnes en CDD et a chômage. » nous dit Maurin p 21.
En 1993, la récession a créé un choc et a déterminé le secteur public comme rempart contre la crise. La fonction publique, conformément à sa structuration, n'a pas modifié ses postes, ses emplois ni ses critères d'attribution. L'afflux de jeunes dans le public à partir de cette période a entraîné une certaine forme de déclassement de nombre de surdiplômés, qui ont choisi d'endurer cette sur-qualification pour échapper aux aléas de la conjoncture et de la concurrence du secteur privé. Dans le même temps, le secteur privé, qui détruit et créé des emplois en permanence, en adaptation à la conjoncture économique, a déplacé la qualification de ces emplois et l'a adaptée à la qualification supérieure de ces nouveaux arrivants.
Ce n'est pas dans le livre, mais on peut se demander si la performance du secteur public, telle que définie par son but au service de la Nation, est améliorée par cet état de fait : garder ses mêmes formules d'organisations quand se présente une richesse supérieure à la précédente (c'est une sorte de gaspillage) et garder des sur-qualifiés, forcément frustrés d'être sous-employés (même s'ils ont choisi cette solution pour eux face à la crise, ils n'ont pas choisi de se trouver dans la situation de devoir choisir) car contenir la frustration exige une certaine énergie.
On peut enfin rajouter à cette interrogation celle qui consiste à se demander si une administration non-remaniée est bien à même d'administrer un secteur privé qui a autant bougé.
Eric Maurin fait quelques analogies avec les années 30 : la baisse d'activité diminuant les recettes de l'Etat, ce dernier tente de diminuer ses dépenses (sans trop toucher à son activité bien sûr). Dans les années 30, les salaires des employés de l'Etat ont baissé (aujourd'hui l'atteinte est dans les non-remplacements) mais moins que dans le privé ; tandis que ces salariés continuent d'être considérés comme des privilégiés. Leur statut et leur nombre les rend très visibles. Ils sont l'objet, dans le discours, d'attaques symboliques, se perçoivent comme déclassés, et voient leur statut diminué et cependant sont moins atteints que celles et ceux du privé, plus atomisés.
Dans ce contexte, les réformes sont impossibles car elles sont toutes perçues comme une remise en cause de ce statut « ouvert pour la vie et payé cher », ou organisant la possibilité d'une remise en cause et amenant cette remise en cause à plus ou moins brève échéance. Toute réforme touche à ce qui est perçu comme un contrat, et ce ne peut être que pour diminuer l'intérêt du contrat pour le salarié du public. Il existe maintenant un syndicalisme de résistance, qui fait de la défense du statut le point fondamental de son discours et de son action.
Les politiques suivies consistent toutes à renforcer ce système (d'inégalités obtenues par une compétition égalitaire) et à donner plus à celles et ceux qui ont déjà beaucoup : dans une société à statut comme la nôtre, il est plus rentable de se poser ponctuellement en rempart contre les licenciements que de proposer une politique de sécurisation universelle. p77.
La solution serait de faire monter tout le monde et de donner ce contrat à tous. C'était ce qui se passait assez bien (mais pas trop, ne rêvons pas) dans les trente glorieuses. Dans la restriction généralisée qui fait notre quotidien, cela ne semble guère être possible. Même impossible, cela reste bien la seule solution. Autant dire que ce dispositif politico-social a de fortes chances de nous conduire à notre perte. L'intelligence a à voir avec l'adaptation.
C'est une solution « interne », c'est-à-dire qui maintient la justification égalitaire des inégalités. Il serait plus judicieux de voir le système social et politique dans lequel nous baignons et d'en penser une transformation plus adéquate à la solution de nos problèmes.
Mais où prendre l'énergie de ce regard distancié ?
Lien : http://www.agoravox.fr/actua..
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